Mon traître est un roman très dur, surtout quand on sait qu'il est presque autobiographique. Il y a des moments vraiment très forts en émotions, comme l'enterrement de Jim, comme ce moment où Antoine joue du violon en fermant les yeux. Mais Mon traître est surtout de ces livres qui vous brisent le coeur. Et vous ne vous en rendez pas compte. On a l'impression de savoir à quoi s'attendre, un titre sans équivoque, le fait que le "traître" soit désigné comme tel dès la première phrase du livre... on se forge une carapace, on se dit qu'on sait ce qui va se passer, et on essaie déjà de ne pas trop l'aimer, ce traître. Mais voilà, le mal est bientôt fait, car il est charismatique. On ne peut pas s'empêcher de l'aimer, et on lui en veut, car bien que prévenus, on espère jusqu'au dernier moment qu'il ne trahira pas. Il y a même des instants où on aurait presque oublié qu'il va trahir, qu'il trahit déjà. Et au milieu d'une phrase, asséné comme un coup de poignard dans le dos, le narrateur ne l'appelle plus par son nom, mais "mon traître".
Mais ce n'est pas un simple traître, ce n'est pas le traître de l'Irlande à l'Histoire douloureuse, c'est le sien. Ce n'est pas le récit de la trahison d'un mouvement et d'une nation, c'est le récit de la trahison d'une amitié, d'un amour profond, et d'une blessure qui ne se refermera jamais.
Antoine ne trouve vraiment de but à l'existence que le jour où il se prend de passion pour l'Irlande du Nord, et pour deux couples qui la représentent à ses yeux, mais surtout pour celui qui sera son père spirituel et sa plus grande douleur, Tyrone Meehan. Il vit pour l'Irlande du Nord, se rattache à la cause de l'IRA doucement mais surement, perd l'intérêt pour la France et Paris, se fâche avec ses amis là-bas, n'existe que pour ses séjours irlandais, et se sent porté par son amitié avec son traître, qui l'éduque à la vie, lui apprend à pisser et lui achète une casquette, comme un père le ferait avec son fils. Antoine devient Tony, français d'origine, irlandais d'adoption. Et ce n'en est que plus déchirant, quand on voit tout ce qui fait sa vie s'écrouler, parce que pour lui l'Irlande, c'est Tyron Meehan.
Et pourtant, quand Tyrone trahit, on ne peut pas s'empêcher d'avoir pitié de lui. On sent qu'il est vieux et fatigué, avec le recul. Avec ce recul seulement, car quand le narrateur le décrit, il nous donne toujours l'impression d'un homme jeune te vigoureux, malgré son âge. Mais avec le recul nécessaire, on sent bien que vingt-cinq ans plus tôt, il était déjà à bout de force. Et pire encore, les passages de son interrogatoire, daté de 2006, le montrent réellement comme un vieillard qui n'en peut plus. Et on aurait presque envie de ne pas lui en vouloir, surtout quand, pour protéger "son français" (et là encore on sent cette exclusivité entre les deux personnages), il dit qu'il s'en fout. A travers ces mots, on ressent cet amour sincère qu'il a pour Antoine, et qu'il ne lui révélera jamais, pas même jusqu'au dernier moment, où quand le luthier lui demande si leur amitié a jamais été sincère, Meehan lui dit qu'il n'a pas sa réponse. Et c'est peut-être ici la trahison ultime.