« La première fois que j’ai vu mon traitre, il m’a appris à pisser », nous sommes en avril 1977 à Belfast , ville alors déchirée par un conflit luttant contre la présence britannique en Irlande du Nord, dans le Thomas Ashe, petit bar local où se réunissent la plupart des nationalistes prenant part aux combats. Le livre débute donc ainsi, avec cette phrase d’un style familier, prononcée par Antoine, le narrateur de l’histoire, jeune luthier français exerçant à Paris.
Après avoir découvert dans l’étui du violon
d’un client à Paris la photo de James Conolly, révolutionnaire irlandais , Antoine décide de partir pour Belfast, afin de découvrir le pays de cet homme dont la prestance et l’histoire l’ont bouleversé. C’était en novembre 1974, premier départ pour la République Irlandaise qui deviendra pour lui, son nouveau pays natal.
Autour de Jim et de Cathy O’Leary, un couple actif dans la résistance affaibli par la perte de leur fils tué lors d’émeutes de rues, le personnage découvre l’Irlande, la vraie. L’auteur parvient à nous donner envie de devenir, à notre tour des étrangers: effectivement avec les descriptions faites par Antoine, nous voulons marcher dans Falls Road, côtoyer les habitants, les entendre scander fièrement leur l’hymne national, boire des guiness amères dans des pubs remplis ,porter des vestes en tweed et des casquettes cassées en leur milieu, voir leurs visages fermés, leur regards sombres et durs afin de s’imprégner. En dépit de ces « quartiers de pauvreté extrême, de beauté laide et de violence que craignent les journaux » , des centaines de républicains mourant lentement dans le camp de Long Kesh, des grèves de la faim qui emportent les plus grands héros du pays, nous voulons connaitre l’IRA et sa terrible beauté.
Cette beauté dévastatrice pour Antoine est double: nous avons d’une part le conflit faisant des milliers de victimes, autant les combattants que leurs familles, mais aussi Le Traitre. Celui d’Antoine, celui qu’il considérait comme son ami et celui qui l’appelait lui, le petit musicien français « son fils ». Il est autre que Tyron Meehan, vétéran de guerre de l’IRA, ayant multiplié les séjours en prisons en raison de ses actions anti-loyalistes qui est désormais applaudi et honoré à chacun de ses discours publics.
S’étant largement inspiré de son expérience personnelle avec Denis Donaldson, un membre actif de l’IRA ayant entre autre collaboré avec le service des renseignements britanniques, Sorj Chalandon laisse la parole à Antoine qui livre une histoire pleine d’authenticité, de faiblesse, d’émotion et d’amour. Cet amour est perceptible dans la relation qui unit Tyrone et le jeune français, basée sur la confiance et le respect mutuel, la sincérité et le dialogue. « Je t’aime fils » aurait répété le traitre.
Puis, l’intrigue prend soudain une toute autre tournure, les années défilent et l’inconcevable vérité éclate au grand jour : Tyrone Meehan a trahi l’IRA, il a dénoncé ses frères, son pays, ses prisonniers de guerre aux forces britanniques pour de l’argent.
Nous ne pouvons pas y croire, nous refusons de l’admettre. Entre incompréhension et dégout, le lecteur est amené à s’interroger sur les raisons de cet acte inimaginable. Qu’est ce qui a poussé un homme dévoué corps et âme à cette causse à livrer des amis aux portes de la mort? « Est-ce que l’on perd son éclat après avoir trahi? Est-ce que les yeux sont plus sombres? Différents »
Chalandon crée un excellent effet d’identification au personnage, de part le réalisme et l’authenticité du récit. En effet, tout comme Antoine, nous cherchons des réponses, des explications car nous aussi, avons été piégé.
L’auteur nous offre donc un voyage unique qui constitue un époustouflant et émouvant récit de guerre permettant d’en apprendre davantage sur ce terrible épisode de l’histoire d’Irlande. De plus, le personnage principal livre un témoignage fort et authentique, qui nous apprend beaucoup sur les notions d’amitié, de solidarité, de courage et de fragilité