Loin des beaux quartiers parisiens, des brasseries populaires à vingt-quatre euros le croque-monsieur à la volaille et les boutiques de luxe, l'univers de Mon vieux se situe plutôt vers les épiceries ouvertes à toute heure, au Quick de Belleville, à la misère qui sent l'Homme. Un je ne sais quoi d'Arthaud dans les poumons.
Les beaux jours arrivant, on fêtera bientôt les dix ans de la canicule de 2003. Et sans le savoir un roman urbain, avec tout ce que ça implique.
Jonquet aime dresser des portraits de types quasi ordinaires, dont les destins se mêlent au fur et à mesure des pages. Chaque ligne suinte la transpiration, le ballon de blanc pas cher et les tribus de clochards tous aussi fêlés les uns que les autres. Un roman noir donc, noir extrême, glauque et malsain, où se confrontent des gens de tous les jours, secoués par la guigne. La nemesis au sens Snatch du terme ; comment des mecs au bord du gouffre peuvent creuser encore plus loin dans la malchance, sans pour autant décider de s'foutre en l'air ?
La survie. L'espoir que tout parisien apprend à connaître au fil du temps, se sentir prisonnier, l'illusion que quelque chose de merveilleux peut nous arriver. A condition d'aimer la crasse. De pas avoir peur de foutre les mains dans la merde, de jouer le tout pour le tout ... Et s'retrouver le nez encore plus enfoncé dedans. Un mauvais trip Romain Gary qu'écrirait la suite de son Goncourt, qu'on intitulerait La nuit devant soi.
D'un côté Alain, cinquantenaire, auteur de scénario médiocres mais qui a accumulé un petit pécule. Juste de quoi guérir sa fille, victime d'un accident de scooter. Daniel, quasi clodo, prêt à tout pour ne pas tomber dans le ruisseau, Nanard et sa bande de pirates de la cloche. Jacquot, jeune mec paumé de 23 piges qui s'est pris d'affection pour Alain et son pedigree de merde qu'il trimbale au jour le jour. Le tout donc sur fond de canicule, de coupures de journaux Cantat/Trintignant, d'histoires crades à t'en faire relativiser au fond de ton pieu.
Au début on est largué, les histoires s'entrecoupent façon film chelou. Puis Jonquet tisse sa toile, connecte chacun des personnages, fait péter la corde sensible, de quoi faire virer sa cuti un centriste de droite ex-soixante-huitard.
C'est sombre, ça plaît forcément. Et Belleville, encore Belleville, quand les quartiers parlent d'eux-mêmes, quand le dégueulasse prend le dessus à en devenir beau, Mon vieux, c'est ça.
Vous m'en remettrez un p'tit pour la route, servez vous au passage !