La dark romance a le vent en poupe.
Suivant les conseils d’une passionnée du genre, pour qui ce Monster se présente comme ce qu’il y a de plus osé, je me lance. Autant commencer par ce qui tache le plus. Et puis Havendean est une autrice reconnue, elle compte des dizaines de milliers d’abonnés sur le net, bien plus que nombre d’auteurs « classiques ».
Alors, Monster.
Et bien, Monster est sans doute le digne représentant de ce que l’auto-édition peut faire comme mal à la littérature en général.
Il commence à dater le combat que mènent les auteurs auto-édités pour d’une part montrer que bien des œuvres ne passent pas les mailles des filets des maisons d’édition installées à cause de systèmes aussi opaques que subjectifs, voire dénués de logique, et d’autre part que la qualité, on peut en trouver partout, y compris chez les auto-édités.
Monster fait tout l’inverse. Son succès insolent, sans doute davantage dû au reste des titres de l’autrice, encore qu’issus de cette « mythologie familiale » des Somber Jann, ou à son côté provocant, n’apporte absolument pas la preuve de la moindre qualité.
Monster terrasse une à une toutes les règles de la narration et de l’écriture, ne conserve qu’un certain sens du page turner, et encore, c’est pour trouver des bons côtés, et se vautre dans une vulgarité gratuite et inutile.
Cette vulgarité, elle saute évidemment aux yeux dès le début (et surtout au début, puisque pour la suite, on s’y fait, de surprise il n’y a plus).
Cette liberté dans la mise en scène des interdits marque sans doute le seul intérêt du bouquin : repousser les limites, rassurer quant au fait qu’on peut tout écrire, tout dire. Viol, inceste, urophilie et candaulisme, tous un tas de fantasmes sadiques et violents sont expliqués dans le détail.
C’est dans ce contexte que s’installe Monster, la rencontre d’un psychopathe incapable d’aimer, qui possède dans son hôtel un sous-sol à la Hostel (le film de 2005, rien de nouveau sous le soleil) et ressent le besoin de baiser des cadavres, Jonas de son p’tit nom, et Seyvanna, fille du « chef de la mafia » (de mafia, il n’y en a qu’une, tout le monde l’appelle comme ça, y compris ceux qui en font partie, cherchez pas), copine attitrée et plus ou moins prisonnière de son propre frère, depuis qu’il a abusé d’elle la première fois, quand elle avait encore 14 ans.
La suite n’est composée que des circonvolutions complotistes de l’un pour dominer la ville et le coeur de l’autre, dans un ballet fait d’épisodes sans queue ni tête, destinés à assouvir une sorte de voyeurisme cracra et la vision sombre d’une adolescente en mal de sensations fortes.
Parce que le noeud du problème, il tient dans ce que l’autrice, dans son style et son propos, ressemble davantage à une lycéenne très scolaire qui noircit son fichier Word de ses fantasmes adolescents immatures qu’à une autrice de genre.
Si elle est capable de concevoir une histoire dans la structure, elle n’est pas capable ni de maîtriser la langue, ni de proposer un style, ni même de respecter les principes de base de la narration.
La langue, c’est sans doute le pire. Les fautes restent légion, de grammaire, de syntaxe, des fautes parfois tellement énormes qu’elles laissent penser que personne n’a relu avant mise en ligne, qu’on a affaire à un premier jet.
« Elle se retient pour sourire devant autant de conneries qui sortent de ma bouche. Je crois qu’elle a envie de me bâillonner la bouche tellement que je la rends folle. »
Le souci est ici évident. On en trouve pelletée à travers les plus de 500 pages de bousin. Mais il n’y a pas que ça. Les tournures hasardeuses, scolaires, puériles, gangrènent le texte et il n’est pas rare de pouffer de gêne.
« Au bout d’un moment, les néons crépitent et un bruit de courant électrique se fait entendre avec le bruit d’une femme qui réagit sous les supplices »
« Je redresse la hache dans un élan au-dessus de moi, la tenant à deux mains par sa lourdeur et frappe de toutes mes forces son autre genou ! »
Tantôt on ne comprend rien, tantôt on hallucine qu’il soit possible de tant de maladresses.
Sans compter les contresens, doublons, les mésusages et mauvaises compréhensions de métaphores.
« Mes yeux, à travers mon masque, la dévorent, la désirent »
L’expression consacrée, c’est « dévorer des yeux ». Certainement pas, mes yeux la dévorent. Ni même « mes yeux la désirent ». Ça ne veut rien dire du tout. Personne ne dit ça. À part les blaireaux qui cherchent une disquette originale à adresser à un match Tinder qui collectionne les crottes de nez et trouve que les Tn sont les souliers les plus classes du monde. Autrement, j’vois pas.
« Jonas plonge sa langue dans la mienne et me dévore à sa façon. Un baiser unique que je voudrais qu’il ne s’arrête jamais. »
On plonge d’une strate supplémentaire dans les cercles des enfers avec celle-ci. D’abord parce que ça ne veut strictement rien dire, outre que ça n’est pas possible. À la rigueur, ça en dit davantage sur l’autrice que sur ce qu’il se passe à cet instant de l’aventure. Une langue ne plonge pas dans une autre. Mais le coup du « baiser que je voudrais... » non, je pense que c’est en CM2 qu’il faut retourner là.
Une des règles de la narration, pour ne pas ennuyer un lecteur/spectacteur, c’est la façon dont une histoire ne doit pas se répéter. Par exemple, pour un braquage, si on suit l’équipe détailler son plan, c’est sans doute qu’on ne verra pas son exécution parfaite. Des imprévus surviendront. Ou alors, au contraire, si on passe volontairement sous silence l’énoncé du projet, c’est pour mieux surprendre le lecteur qui le découvrira au moment où il se réalisera.
Dans Monster, oubliez tout ça. Dès le début, Jonas explique à Seyvanna ce qu’il entend faire. Puis il répète. Et enfin il le fait. Et à aucun moment ça ne dévie. Il y a bien quelques incohérences et atrocités gratuites (les décorations de tables à la fin) qui viennent saupoudrer la platitude du déroulement, mais c’est à peu près tout ce sur quoi il faut compter...
On pourrait détailler le manque de solidité dans les intrigues, la naïveté confondante des termes employés (mafia, pègre) qui rappellent à tout instant que l’autrice n’est absolument pas familière des univers qu’elle dépeint et qu’on se retrouve plutôt avec le produit mal dégrossi d’un fantasme à demi-conscient, mais on peut aussi se contenter de finir avec quelques derniers extraits, sans commentaire, juste pour le « plaisir ».
« Puis… je me lève prudemment en tanguant subtilement. »
« Prise de colère et d’impuissance face à mon sort, je hurle de tout mon être et tire sur mes bras à m’en faire mal alors qu’on resserre les prises sur mes membres. »
« La seconde suivante… c’est comme si le temps venait de s’arrêter et que tout se passait au ralenti alors que je sais que tout se passe très rapidement. La hache percute brutalement son cou, le décapitant jusqu’à la nuque ! Je donne deux autres coups pour pouvoir lui détacher entièrement la tête du cou. »
« Je redresse la hache dans un élan au-dessus de moi, la tenant à deux mains par sa lourdeur et frappe de toutes mes forces son autre genou ! »
« Je mime avec mes lèvres des mots qu’elle devine sans les entendre »