Eh bien, le second opus de Capitale du Nord tient les promesses qu’avaient laissé entrevoir son prédécesseur, Citadins de demain. Qui donnait à voir une société finissante, commerçante et patrimoniale à souhait, sclérosée par sa structuration immuable en classes sociales parfaitement étanches (c’est-à-dire n’entretenant que des rapports économiques) et gouvernée d’en haut et seulement d’en haut par l’oligarchie en place. Toute ressemblance avec une quelconque réalité n’étant que pure coïncidence, cela va sans dire.


Comme dans la susdite réalité (coïncidence là-encore), des secousses et des soubresauts ne vont pas manquer de se produire, d’autant que Dehaven est en train de perdre ses colonies (encore une coïncidence) et entend y rétablir l’ordre en envoyant la troupe (constituée par l’enrôlement quelque peu forcé de conscrits issus des couches sociales inférieures). Voilà, ce bouquin, c’est l’histoire d’une révolution, on pourrait dire aussi révolte. Et c’est très bien vu et ça met sur la table tout plein de sujets : le rôle et les objectifs de la classe moyenne dans un processus révolutionnaire versus celui du prolétariat, la fonction du parlementarisme lorsqu’il est vidé de sa substance par le fait qu’il ne représente qu’une seule classe sociale, la violence de la répression lorsque le pouvoir se sent vaciller, les motivations individuelles des opposants. Encore et toujours des coïncidences…


Alors, c’est d’une certaine manière un roman de fantasy écrit à la façon d’une chronique historique qui pourrait être très actuelle. Le ton de la narratrice, Amalia, n’y est pas étranger puisqu’elle provient des couches les plus élevées de la société de Dehaven et qu’elle a de plus reçu une éducation inspirée par les idées des Lumières (dont la France fut autrefois le pays, parait-il). Reste que comme dans le premier opus, la magie ne s’y exprime que de façon discrète, diffuse mais très intime la plupart du temps, avec un acmé tout de même en fin de bouquin. Ainsi, la lecture va consister en une exploration fouillée de Dehaven (des bas-fonds aux beaux quartiers, en passant par le port), sublimée par l’ironie qu’Amalia – qui n’a ni ses yeux, ni sa langue dans sa poche - sait montrer en (presque) toute circonstance. Avec une tension (sociale) qui monte, au fil des événements, jusqu’à son paroxysme qui se trouve coïncider avec celui de la magie. Pour des raisons qui sont disjointes, mais cela crée un effet dramatique fort réussi.


Que dire de plus sinon que j’ai bien l’impression que le tome 2 du cycle Capitale du Nord en constitue le morceau de bravoure, à l’instar de son homologue sudiste.


Marcus31
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le 10 nov. 2023

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