Petit ouvrage par sa taille, Multiculturalisme, différence et démocratie comprend plusieurs parties dans son édition Flammarion. Un entretien avec le sociologue français Michel Wieviorka, une introduction d'Amy Gutmann, divers commentaires sur l'ouvrage de Taylor, et bien sûr, l'œuvre de Charles Taylor lui-même, intitulée "La politique de reconnaissance".
En moins de cent pages, avec une écriture simple, Taylor pose le problème que soulève la reconnaissance dans les sociétés contemporaines et les enjeux démocratiques qu'il pose. Partant de l'Ancien régime et du fait que la distinction y était fondée sur l'honneur, Taylor montre comment la dignité, et la reconnaissance, qui fonderait l'identité sont venues se substituer au concept d'honneur dans les interactions humaines, en s'appuyant sur les oeuvres de Rousseau, Hegel et Herder.
Taylor développe ensuite sa pensée en décrivant deux types de libéralismes, l'un postulant la neutralité de l'Etat liberal et limiterait étroitement la différenciation en se considérant comme neutre, et traitant tous les individus pareillement sans accorder d'importance aux groupes et la vision d'un Etat liberal respectant ou promeuvant la différenciation. Le cas du Québec lui permet d'illustrer comment des politiques de différenciation peuvent s'inscrire dans le cadre de l'état de droit libéral.
Enfin Taylor s'attarde sur le débat opposant essentialistes et deconstructivistes sur les programmes universitaires érigés en symbole de la reconnaissance. Cette querelle oppose tenants d'une liste d'ouvrages et de cultures traditionnelles, considérés comme des chefs-d'œuvre intemporels et tenants de reconnaissance d'auteurs issus d'autres cultures et genres, considérant le corpus classique et l'idée de sélection comme discriminante et reflet d'une situation de pouvoir. Charles Taylor préconise, comme dans le reste de son ouvrage, de prendre parti pour un juste milieu, refusant de postuler l'égale valeur de tous les apports culturels sur demande, et de considérer toute sélection comme résultant d'un rapport de forces sans souscrire aux rigidités des essentialistes supposant neutres et immuables des fondamentaux que rien ne saurait ébranler.
Une approche nuancée, équilibrée qui permet, sur des sujets où les opinions sont soivent très tranchées, de poser les bases d'une meilleure compréhension des tenants de l'universalisme et du differencialisme. Ce qui lui conserve une pertinence certaine, 30 ans après sa parution.
A noter les critiques valables formulées à son encontre, notamment sur la similitude entre reconnaissance au niveau féministe et au niveau racialiste / communautaire linguistique, le féminisme pouvant d'abord avoir pour but de sortir d'une reconnaissance en tant que femme pour être reconnu en tant qu'égale alors que les cas d'identité linguistique comme le Québec visent à pérenniser les distinctions identitaires.