Murambi, le livre des ossements par dailypolymathie
"Nous nous sommes battus pour rendre le Rwanda normal. Juste cela. C'était un bon combat" (p 87)
"Dans ces pays-là, un génocide ce n'est pas très important" (p 228)
Murambi. Le livre des ossements nous fait suivre la trajectoire de plusieurs personnages mêlés au génocide des Tutsi au Rwanda, entre victimes, bourreaux et complices : Jessica, une militante du FPR qui parvient miraculeusement à survivre ; un milicien Interahamwe à la veille des massacres qu'il va accomplir ; un colonel français face au rôle de son pays dans la tragédie. Et d'autres encore, qui révèlent autant de perspectives différentes du génocide et de ses différents moments. On passe de l'inquiétude et l'aveugle confiance de certains Tutsi avant les massacres, l'horreur indicible pendant, avec son lot de cynisme et de cruauté pour les uns, l'évidence d'un combat pour d'autres, et la difficulté de la reconstruction et du pardon après. La structure éclatée du livre, où la vision de chaque personnage se succède comme autant de pièces d'un puzzle pour former une image cohérente, permet d'avoir une vision complexe et totale de ce génocide qui cependant demeure à la fin une énigme. L'auteur et ses personnages survivants n'ont que faire d'une explication vaguement raciste à la sauvette, quelque chose comme "encore deux ethnies africaines qui s'entretuent dans une énième guerre civile". Car on aura beau chercher dans l'Histoire, l'impact de la colonisation, la pauvreté, la soif de pouvoir, rien n'explique "l'allégresse des tueurs" (p 218). L'écriture fluide et sans artifices de Boucabar Boris Diop, qui s'attache aux faits et à l'essentiel, permet de raconter sans fards les atrocités commises, pour que les faits et les actes soient sus. Tout en narrant avec une certaine pudeur les tentatives de réconciliation des rescapés avec leur passé et leurs anciens bourreaux, sans jamais verser dans un monde en noir et blanc où le sentimentalisme aurait été obscène. La trajectoire du personnage principal, Cornelius, un Tutsi qui s'est exilé avant le génocide et revient quatre ans après, est ainsi exemplaire. En retournant au pays, ce dernier va devoir faire sienne une vérité sur sa famille qui renversera du tout au tout sa perspective du génocide. Il apprendra à faire face à ses propres déchirements, entre honte, incompréhension et douleur. Ainsi que le souligne l'auteur, "le crime de génocide est commis par les pères mais il est expié par les fils" (p 252).
Boucabar Boris Diop écrit dans sa postface : "si un génocide aussi spectaculaire que celui des Tutsi du Rwanda implique des masses hurlantes d'hommes et de femmes pris au piège d'une panique collective sans nom, chacun n'entend, dans ce formidable chambardement, que les battements de son coeur, dans une soudaine et affreuse proximité avec sa propre mort." Avec ce roman admirable, il parvient à faire sens de ces morts au nombre si faramineux qu'il brouille l'esprit (un million de morts en quatre mois). En mettant des visages et des voix sur le génocide des Tutsi, ce dernier, loin de rester la tragédie d'un pays lointain, devient l'affaire et l'histoire de chacun des lecteurs que nous sommes.
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