Deux infirmières soignent un patient placé en isolement dans un hôpital spécialisé dans les maladies infectieuses. Dans un réflexe de bienveillance, la plus jeune essuie les larmes de l'homme alité. Leurs soins accomplis, et le deuxième sas de sécurité bien refermé, la plus âgée retire son masque et gronde sa collègue: "Si tu veux essuyer les larmes des patients, tu dois porter des gants!"


Voilà un début de roman qui sonne bien 2020. Sauf que non, on est à Stockholm dans les années 80. Et ce chef d'oeuvre, c'est avant tout une histoire d'amour:


Deux jeunes hommes, Benjamin et Rasmus, se découvrent et s'aiment. Chacun d'eux doit régler ses comptes avec sa famille et son passé, "sortir du placard", affirmer son homosexualité et son identité. Leur cercle d'amis fondé par Paul - une grande folle autoproclamée "mère poule des gays égarés de Stockolm" - deviendra leur vraie famille. Celle avec qui on fête Noël. A ce moment-là ils ne savent pas que le SIDA fait ses premières victimes, ni que le temps de l'insouciance est révolu.


Cette histoire, Jonas Gardell nous la livre entière, sans pudeur ni omission, et extrêmement bien documentée. Il nous décrit le traitement médiatique suédois de ce "cancer gay" qui sévit d'abord aux Etats-Unis. Evidemment, à ce moment-là, personne ne prête attention. Puis les premiers morts en Suède et l'inquiétude de nos deux protagonistes, avant que l'intrus ne s'immisce directement dans leur cercle proche. Et dans l'un d'entre eux. Plus le phénomène prend de l'ampleur, plus Jonas Gardell rend compte de l'avis du gouvernement, de la position de l'église, de ce que pense la population... Loin de prendre conscience de l'horreur du SIDA dans une société où le simple fait d'être homosexuel est déjà considéré comme une maladie.


Des mots comme "virus", "propagation", "précautions sanitaires" ne sont pas sans rappeler les conditions dans lesquelles nous vivons actuellement. Nous nous retrouvons donc complètement dans la peau de ces personnages désemparés face à une maladie nouvelle dont on ne connaît rien. Les rumeurs, la désinformation, les mesures de protection... Sauf qu'eux meurent dans l'indifférence quasi générale.


Alors quand les scientifiques nous promettent un premier vaccin contre le Coronavirus en 2021, n'oublions pas qu'on ne guérit toujours pas du VIH.

CultureConfiture
9

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Livres et Les meilleurs livres des années 2010

Créée

le 29 avr. 2020

Critique lue 221 fois

2 j'aime

Critique lue 221 fois

2

D'autres avis sur N'essuie jamais de larmes sans gants

N'essuie jamais de larmes sans gants
Queenie
10

Gay Love and Death

J'aimerais pouvoir juste mettre BOULEVERSANT. Vraiment. Mais je vais faire plus. Ce ne sera pas à la hauteur de ce qu'il me reste de ma lecture, tant pis. Parce que ce livre m'a remuée, constamment,...

le 5 avr. 2017

3 j'aime

N'essuie jamais de larmes sans gants
HenriMesquidaJr
9

Critique de N'essuie jamais de larmes sans gants par HENRI MESQUIDA

J'ai lu à peu près tout ce qu'il s'est écrit sur la littérature sur le SIDA en Français, en anglais et en Espagnol. Quelquestrès bon livres, de simples témoignages... Je rencontre enfin un "grand...

le 13 nov. 2018

2 j'aime

Du même critique

Le Dernier Jour d'un condamné
CultureConfiture
7

Plaidoyer rondement mené

Ce livre a été publié en 1829. Victor Hugo n'avait alors que 26 ans (merci Wikipédia). Il s'agit avant tout d'un plaidoyer pour l'abolition de la peine de mort. Un homme condamné à la peine capitale...

le 17 mai 2018

1 j'aime

The Revenant
CultureConfiture
3

Un ennui mortel

Ce film aurait tout pour plaire: tiré d'une histoire vraie, avec un Di Caprio méritant plus que jamais l'oscar tant convoité, des paysages à couper le souffle... Et pourtant quel ennui! D'abord à...

le 31 août 2016

1 j'aime

Les Prénoms épicènes
CultureConfiture
5

Un Mc Nothomb et une grande frite à emporter svp

Un livre d’Amélie Nothomb, c’est comme un burger. On le vit comme un plaisir coupable. Quand on l’a en main on ne le lâche pas. On l’avale en deux bouchées, sans prendre le temps de mâcher. Puis on...

le 11 mai 2020