Philip Roth est surtout connu pour son roman Pastorale américaine, distingué d'un prix Pulitzer catégorie littérature. L'écrivain, originaire de Newark dans le New Jersey, écrivit son dernier roman à près de 80 ans, dont il ancra l'histoire dans le quartier où il passa son enfance, Weequahic. Ce livre, Némésis, est fidèle à son approche littéraire, naviguant entre fiction et autobiographie dans un style efficace.
Bucky Cantor est le responsable d'un terrain de jeu dans le quartier juif Weequahic. Nous sommes en plein milieu de l'été 44 et des dizaines d'enfants passent leurs journées à jouer sur le terrain dont s'occupe Bucky. Athlète brillant, jeune professeur attendant la rentrée, il devra faire face durant ce terrible été à une importante épidémie de poliomyélite. Le nombre de cas explose, faisant de nombreux morts et estropiés. La panique gagne alors la ville.
Némésis aborde avec douceur, sans circonvolutions, le poids de la responsabilité et de la terrible souffrance que celle-ci peut générer. Philip Roth décrit avec beaucoup de compassion son héros, Bucky Cantor, qui se retrouve, face à l'épidémie qui fauche les gamins dont il a la charge, totalement démuni malgré son courage et sa force herculéenne.
Ce sujet, dramatique de la polio, m'oblige à faire une digression, m'éloignant du roman et sa fiction pour le réel et notre monde actuel. En 1944, le biologiste Jonas Salk n'avait pas encore mis au point le vaccin antipoliomyélitique injectable. A cette époque, personne ne savait comment se transmettait la maladie ni pourquoi celle-ci frappait en été, disparaissant à mesure que l'automne s'installait, avant de revenir l'été suivant. L'incapacité des états et de la médecine à expliquer, avant même de combattre, le phénomène devait être très angoissant pour les populations. Une angoisse qui est palpable dans le livre et qui vire à la psychose à mesure que l'épidémie s'accentue. Lorsqu'en 1988, l'OMS adopte une résolution visant à éradiquer la polio dans le monde, 350 000 cas étaient déclarés dans 125 pays différents. Trente ans plus tard, seulement 33 cas dans deux pays (Pakistan et Afghanistan) étaient recensés. Il n'existe à ce jour, aucun traitement contre la polio. La seule arme dont nous disposions était (et reste) le vaccin.
Sachant cela, il est navrant de voir aujourd'hui la force d'un mouvement pernicieux et extrêmement dangereux : les antivax. Ce mouvement antivaccins, convainc de plus en plus de personnes de sensibilités différentes. Religion, écologie, anticapitalisme et complotisme se mélangent et se confondent dans un rejet de ce qui, pourtant, sauva et continue de sauver de nombreuses vies. La nouvelle arme de cette pensée ces dernières années ? les réseaux sociaux : un espace où l'information n'est pas vérifiée, circule vite et en masse et où les institutions de notre système de santé ne communiquent presque jamais. L'argument "choc" des antivaccins ? Une étude scientifique datant de 1998 et établissant une corrélation entre le vaccin contre la rougeole et l'autisme. Une étude faite sur 12 patients…
En lisant Némésis, cette chronique d'un monde sans vaccin, où les parents étaient terrorisés, trois ou quatre mois par an, à l'idée de voir leurs enfants attraper ce mal incurable qu'est la polio et finir dans un poumon d'acier ou pire, en mourir ; je me dis que ceux qui, aujourd'hui, combattent avec tant de convictions et d'aveuglement ce bouclier qu'est le vaccin se trompent de combat.
Roman de 240 pages, Némésis raconte la chute injuste d'un homme tout juste sorti de l'adolescence. Une chute causée par un mal invisible et, à l'époque, invincible. A mettre entre certaines mains…