« L’humanité fidèle à elle-même »

Après les aventures sous des étoiles contraires, à l'occasion de réparations du vaisseau, l'équipage Rossinante est chacun appelé à régler des problèmes personnels sur leur monde d'origine respectif. Alex le pilote décide qu'il est temps de rendre visite avec son ex-femme, qu’il n’a plus revu depuis leur séparation difficile ; Almos le mécanicien retourne sur Terre après l'annonce d'une triste nouvelle ; et Naomie l’ingénieuse en communication retourne voir d'anciens amis d’une autre vie, laissant un James Holden désemparé à l'idée de se retrouver tout seul, loin de ceux qui sont devenus plus une famille qu'un équipage. Or, l’équipage devenu légendaire se sépare alors que le système solaire s'apprête à vivre sa plus grande crise. Avasarala avait bien raison, elle qui annonçait à l’ancienne Marine que l'exode massif vers de nouvelles terres allait modifier en profondeur les sociétés martiennes et ceinturiennes, menacées dans leur fondement. De nouvelles alliances se créent, des organisations se renforcent et se préparent à des actes d'une ampleur inégalée, menaçant de faire rentrer l'humanité dans une nouvelle éruption de violence... Après la paix précaire entre les trois puissances, l’entente vole donc à nouveau en éclat, la découverte de nouveaux soleils semblant avoir surtout assombrit d’avantage l’humanité. Alors que dans l’ombre des conflits sanglants et destructeurs, un tout autre danger rôde à la lisière des étoiles, toujours aussi mystérieux, et plus proche qu’il n’y paraît…

Après des excursions dans des dimensions plus orientées science-fiction voire aventure avec les 2 derniers tomes, « les jeux de Nemesis » opère un retour à la fois à des intrigues policières (les disparitions de vaisseau) et les manœuvres politiques.
Comme on peut facilement établir un parallèle sur Terre, entre les sociétés occidentales et les anciennes colonies, les pays riches et leurs voisins moins développés, les puissances intérieures paient au prix fort leur mépris et leur volonté de domination sur les Ceinturiens. Ces derniers, plus que jamais menacés dans leur style de vie, saisissent ainsi l’opportunité qui leur est offerte d’avoir l’avantage et de se venger de leurs oppresseurs. Des envies de liberté et de vengeance, mêlé à la peur de la disparition de leur identité, qui amènent plusieurs « outsiders » de soutenir la cause malgré les moyens violents mis en œuvre, même si des dissensions se créent inévitablement. Des mêmes aspirations que pourrait bien exploiter d’autres organisations, pas forcément dans l’intérêt des Ceinturiens…

Pour ce 5ème tome, les auteurs innovent en modifiant la structure habituelle en ne créant pas de nouveaux personnages, mais en centrant les différents points de vue sur l’équipage dispersé. Un choix très intéressant car il permet d’approfondir des personnages dont le passé n’avait été jusqu’ici que brièvement évoqué (Alex racontant avoir abandonné sa femme au colon sur Illus ; Almos, fils d’une prostitué, ayant grandi dans les milieux criminels d’une ville terrestre, le poussant à jurer personnellement de retrouver la fille du scientifique de Ganymède), où alors nimbé de mystère (Naomie et son passé trouble, qui voit d’un très mauvais œil l’interview de la journaliste lors de l’expédition vers l’anneau).
Ainsi, Alex tourne la page avec sa famille, et la culpabilité qu’il ressent. Almos règle ses dernières affaires avec la ville qu’il l’a vu naître. « Il n’est pas de la Terre, il est de Baltimore ». Et enfin Naomie est confrontée à un passé qui l’a fait souffrir et qu’elle cherchait à fuir depuis toutes ces années. La révélation sur ce qu’elle a laissée derrière elle fait d’ailleurs l’effet d’une étoile brillante et gigantesque qui vient juste de se former, modifiant à jamais la voûte céleste.

C’est une bonne idée de se focaliser sur ces personnages-là, présents depuis le début, que l’on a appris à apprécier malgré le peu d’informations sur leur passé. De plus, on revoit de manière fréquente Bobbie, en soldat coriace mais loyale, Clarissa Mao affaiblie, et sur le chemin d’une bien douloureuse rédemption, et dans une moindre mesure Avasarala qui n’a pas perdu de son franc parlé.

Mais personnellement je trouve que le manque de nouveaux personnages à découvrir manque un peu.
Également, passé les premières révélations ou la résolution de leurs problèmes personnels, chacun est rapidement embarqué dans des manœuvres qui les dépassent. Les personnages deviennent moins acteurs que témoins impuissants de l'histoire, tel un vaisseau en panne de carburant soumis aux forces d’une gravité implacable, avec tout au plus des moteurs auxiliaires pour dévier de trajectoire et éviter des projectiles mortels, au prix d’un effort considérable. L’aspect intimiste du début cède donc à une succession d’événements et le ressenti n’est plus le même.
Même l'intrigue de Naomie, pourtant la plus liée à l'histoire principale, finit par se résumer à s'échapper de ses anciens amis devenus ennemis pour rejoindre sa vraie famille. Ce n’est pas tant le rythme qui connaît une fuite de carburant, mais l’émotion, qui connaît quelques taches solaires en surface malgré des réserves au potentiel explosif.

Le changement de point de vue est toutefois très efficace à certains moments, comme lors du terrible attentat sur Terre, vu à distance sur des écrans par les différents personnages, dont au même moment un assaut sur Tycho. C’est à peu près les seuls passages dont les images visualisées dans mon imagination me sont restées en mémoire, soit moins que les précédents tomes (pourtant plus appréciés des lecteurs semble-t-il).
Le rythme faiblit toutefois quelque peu en dernière partie, beaucoup de passages étant consacrés au sauvetage de Naomie prise au piège. Tandis que les passages sur une Terre dévastée ne sont pas sans être un peu redondants avec ceux sur Illus.

Ce n’est pas une déception toutefois, juste un intérêt un peu moins prononcé pour ce tome-là, qui semble surtout poser les jalons pour des intrigues plus denses à venir, avec un échiquier astronomique composé d’une multitude de pions.