Zeev Sternhell, comme pas mal d'historiens contemporains qui se sont attaqués à des sujets brûlants, est évidemment un historien plutôt contesté mais que je trouve intéressant lorsqu'il ne se BHLise pas trop. En effet, de tous les historiens qui ont souhaités trouver à la France des racines fascistes, il est pour moi le plus pertinent et le moins "manichéen" et a le mérite de bousculer un certain conformisme historique, qu'il soit de droite gaulliste ou de gauche socialiste.


Sternhell fait partie - également - de ces historiens qui ont bien mis en évidence le fait que la gauche dans son grand ensemble, en 1940, non seulement a votée en très grande majorité les pleins pouvoirs à Pétain, mais a collaborée activement. Pas mal de ministres et de responsables, au sein du gouvernement collaborationniste, venaient de la gauche (et Philippe Nemo le résume assez bien dans son livre Les deux républiques françaises). Les communistes ne rentrant en résistance qu'après l'attaque de l'Allemagne nazie sur le pays frère l'URSS.
Bref, son travail d'historien est - je trouve - tout à fait honorable et à relire quand la France d'après la seconde guerre mondiale, s'est laissée enfermer par une gauche faisandée auquel l'existentialisme sartrien a largement contribué en remportant la bataille des (non-)idées.


Sternhell a beau avoir l'opinion fragile, la plupart de ses thèses me semblent bonnes à creuser.
En effet, le fascisme est un phénomène très mal connu en France, à cause de l'inflation sémantique de ce terme utilisé comme épouvantail et chasse aux sorcières. Ce livre le rappelle assez bien mais le fascisme est d'abord un centrisme révolutionnaire.


Il y a deux thèses dans ce livre. La première est que le fascisme trouverait son origine dans le mouvement réactionnaire des anti-Lumières français. Elle a le mérite de se tenir et de retirer toute influence étrangère au fascisme et de constater le caractère autonome de ce dernier. La seconde qualifie le fascisme comme une révision spiritualiste et vitaliste du marxisme, une sorte de mutation de l'idéologie communiste de l'Etat-parti, en réaction contre le matérialisme : on le voit dans le premier programme fasciste de Mussolini, qui reprend la plupart des points du programme révolutionnaire communiste.
L'idée est que le fascisme n'est pas une négation de 1789, mais plutôt une extension totalitaire de 1793 et de 1917. Cette thèse là, abandonnée ensuite par Sternhell, me paraît hautement judicieuse. Par la suite, le gros défaut de Sternhell fut de tordre légèrement l'histoire pour la faire rentrer dans la vision de la gauche, qui a reconstruit à son avantage les événements des années 30 pour constituer la mythologie d'une gauche résistante, et de valider la vulgate manichéenne du retour permanent des heures les plus sombres.


Ce livre conclut plutôt bien l'horizon du fascisme français, qui ne se trouve pas comme on pourrait le croire dans toute la mouvance d'extrême droite mais bien une sorte de synthèse entre le maurrassisme et le socialisme de George Sorel, que l'on peut trouver dans une mouvance comme le cercle Proudhon.


Là où on peut creuser, c'est que ce livre sur le fascisme français (dont je ne doute pas de l'existence) est une bonne réflexion sur la notion de collectivisme, au-delà de cet aspect longuement théorisé sur le plan philosophique, l'Histoire nous montre comment le collectivisme déchaine les totalitarismes. Evidemment, on ne parle pas là des collectivismes conscients et choisis... en monastère, dans un Kibboutz ou dans tout communautarisme à petite échelle, mais bien du collectivisme imposé.


Petite remarque pour ce qui est de la couverture : j'imagine que ce n'est pas le choix de Zeev Sternhell mais plutôt de l'éditeur, mais je pense que pour la couverture de l'ouvrage, il aurait fallu mettre Doriot ou Déat pour illustrer la thèse du livre, et non pas les Croix de Feu qui étaient certes présents à la journée du 6 février 1934, ont tout de même refusé de prendre la Chambre d'assaut - et n'ont jamais vraiment été considéré comme des fascistes, plutôt comme des légalistes.
Ce que d'ailleurs les autres groupuscules royalistes et fascistes leur ont par la suite toujours reprochés, dès 1940 ils entraient en Résistance, le colonel De La Rocque terminera la guerre déporté en camp de concentration, revenu épuisé il mourra quelques mois plus tard.
J'ajoute que la spécialité des "Croix de Feu", durant la seconde guerre mondiale, était l'exfiltration des Juifs vers l'Espagne et le Portugal, et la cache des enfants Juifs dans les nombreuses familles catholiques qui étaient sympathisantes de leur mouvement. Mais bon, ce n'est pas très important pour ce qui est du contenu du livre que je trouve plutôt correct.

Polyde
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le 23 sept. 2017

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