Ni droite ni gauche par Yananas
Dans la poursuite de ses travaux sur le fascisme français, Zeev Sternhell signe un ouvrage stimulant et intéressant par bien des aspects. S’il accorde que les avatars du fascisme en France ont eu moins d’emprise en France, il convient selon lui de voir au-delà du visible, car le fascisme étant « une idéologie latente à laquelle les catégories habituelles ne s’appliquent pas toujours » (p. 11), il « permet à un grand nombre d’intellectuels d’être fascistes sans le savoir » (p. 364). Ce qui a donné naissance au fascisme français est la rencontre entre un nationalisme viscéralement antirépublicain (à l’instar de l’Action française) et un syndicalisme révolutionnaire incarné par Georges Sorel. De fait, Sternhell étend l’emploi du terme fasciste afin d’embrasser les néo-socialistes, les technocrates ou les planistes – ce qui est contesté par bon nombre d’historiens français, car l’historien israélien tendrait là à amalgamer des textes dispersés chronologiquement et peu contextualisés. De même, Zeev Sternhell fédère un certain nombre de personnes sous l’appellation de « fascistes », qui, dans le cadre de l’agonie de la IIIe République à la fin des années 1930, se sont réunis dans des groupes de réflexion et des revues en proposant des solutions teintées d’antiparlementarisme, mais se référant aussi à ce qui se passait dans les régimes fascistes récents. L’originalité de Sternhell, dans cette étude, n’est pas seulement d’insister sur une imprégnation fasciste dans la France des années 1930, elle réside essentiellement dans le fait que c’est avant même la Première Guerre mondiale qu’une cohérence fasciste est perceptible, si l’on s’en tient à l’étude de figures comme Barrès, Sorel, Maurras ou Valois. En mettant la focale sur ces personnages, Sternhell contribue à faire sauter les prétendues racines étrangères du fascisme français, et par là même, à décrire un « phénomène autonome, et non produit d’une importation » selon Jacques Julliard. Mais n’occulte-t-il pas par contrecoup les origines proprement italiennes, allemandes ou autrichiennes du fascisme ? Quoiqu’il en soit, la conjonction d’avant guerre entre droite nationaliste et gauche socialiste et socialisante aurait été d’une importance suffisamment déterminante pour l’historien israélien, pour qui le phénomène fasciste est une « synthèse du nationalisme maurrassien et du syndicalisme révolutionnaire » (p. 54).