Nickel Boys
7.5
Nickel Boys

livre de Colson Whitehead (2019)

Publié sur L'Homme Qui Lit :


C’est terrible une belle rentrée littéraire. Certaines années, j’ai regardé les titres à paraître avec un œil las, les énièmes publications d’auteurs ou d’autrices dont le nom fait vendre du papier et qu’on sort du placard à l’occasion de l’évènement littéro-commercial de l’année, pour qui on se dit « il n’a pas eu de prix depuis trois ans, on va peut-être lui en donner un cette année ! », ces années là j’ai évité les nouveautés pour me plonger dans les valeurs sûres de ma bibliothèque et de mon interminable pile-à-lire. Mais pas cette année. Cette année, c’est un fourmillements de bons livres, je ne sais plus où donner de la tête. Les lectures se suivent et ne se ressemblent pas, mais certaines m’émerveillent, et c’est exactement ce qui s’est passé avec Nickel Boys, que j’ai littéralement englouti en une soirée, incapable de le refermer avant de l’avoir terminé.


Elwood Curtis est un jeune afro-américain qui a devant lui un bel avenir. Ce sont les années 60, et le gosse est élevé par sa grand-mère Harriet après que ses parents soient partis faire leur vie ailleurs, un beau matin, en le laissant là comme un fardeau trop lourd à porter. Harriet, elle est femme de chambre dans un hôtel, elle vit chichement mais elle aime son petit-fils à l’esprit vif qui se passionne pour les discours de Martin Luther King et qui après quelques années difficiles voit les étoiles s’aligner pour le laisser entrer à l’université et lui offrir cette vie dont il rêve déjà.


Un grain de sable le propulsera devant un juge qui le condamnera pour quelque chose dont il n’est pas responsable, et Elwood étant mineur, il sera envoyé dans une maison de correction éloignée de chez lui, la Nickel Academy. Sous des allures d’établissement éducatif visant à remettre la jeunesse dans le droit chemin, se cache en réalité un endroit terrible, où les pires atrocités ont lieu sans que personne n’en sache rien. Ou plutôt, sans que personne n’en dise rien. Les blancs et les noirs y sont enfermés sans distinction mais même dans cette ambiance carcérale la ségrégation prévaut et chacun vit dans un espace séparé, avec un traitement séparé.


Elwood rencontrera Turner à la Nickel Academy et tous deux deviendront amis, même si on pourrait dire que les choses n’étaient pas gagnées d’avance. C’est ensemble qu’ils subiront la cruauté des hommes blancs envers les jeunes noirs, la violence, la haine et les privations, tandis que les apparences sont préservées pour les regards extérieurs. Un endroit terrifiant dont ils espèrent sortir vivants.


Le roman est une œuvre de fiction, mais est inspiré par un fait réel à propos de la Dozier School for Boys, un établissement de correction de Floride qui est l’exacte réplique de cette Nickel Academy et qui n’a fermé que récemment. Sur le site furent découvertes des dizaines de tombes dissimulées dans lesquelles furent trouvés les restes de ces garçons qui avaient disparu du jour au lendemain dont on pensait qu’ils avaient fugué et s’étaient perdu dans les marais. Une histoire effroyable, un roman superbement écrit à propos de ce passé cruel, dans un pays qui n’est jamais parvenu à dépasser la question raciale et qui, au moment où ce livre permettait à Colson Whitehead d’obtenir le prix Pulitzer pour la seconde fois, était en proie à des émeutes raciales un peu partout sur le territoire. Certaines blessures ne cicatrisent jamais.


Nickel Boys, de Colson Whitehead est publié aux États-Unis en juin 2019 chez Doubleday sous le titre « The Nickel Boys » . Il est publié en France aux éditions Albin-Michel le 19 août 2020 dans une traduction de Charles Recoursé.

Lubrice
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ma bibliothèque, Les livres qui se lisent d'une traite, Lus en 2020, Ma rentrée littéraire 2020 et Les meilleurs livres de 2020

Créée

le 28 août 2020

Critique lue 522 fois

6 j'aime

1 commentaire

Brice B

Écrit par

Critique lue 522 fois

6
1

D'autres avis sur Nickel Boys

Nickel Boys
Cannetille
9

Un coup de massue littéraire

Dans les années soixante, en pleine Amérique ségrégationniste, une erreur judiciaire vient stopper net les projets d’études universitaires du jeune Elwood Curtis, en l’envoyant dans une maison de...

le 7 nov. 2020

5 j'aime

Nickel Boys
Cortex69
7

Forgotten Boys

Colson Whitehead fait partie de ces rares écrivains à avoir remporté deux fois le fameux prix Pulitzer de la fiction – la première fois en 2017 pour Underground Railroad et la seconde fois cette...

le 20 août 2020

5 j'aime

Nickel Boys
Cinephile-doux
8

Corrections mineures ?

On ne saurait résumer Nickel Boys par son twist final, mais quand même, quelle puissance émotionnelle dans cette révélation soudaine qui donne envie de relire le roman depuis son début, muni d'une...

le 31 oct. 2020

4 j'aime

4

Du même critique

Le Secret de Brokeback Mountain
Lubrice
9

Critique de Le Secret de Brokeback Mountain par Brice B

Ah, qu'il m'en aura fait verser des larmes, ce film. Il en a fait également couler, de l'encre, lors de sa sortie. Film gay ? Pas vraiment. Le secret de Brokeback Mountain fait parti de ces films qui...

le 7 janv. 2011

47 j'aime

3

Le Livre des Baltimore
Lubrice
10

Critique de Le Livre des Baltimore par Brice B

Publié sur L'homme qui lit : L’ébulition de la rentrée littéraire retombe à peine sur les très ennuyeux prix littéraires, que la sphère culturelle s’agite de nouveau, et qu’un seul nom revient sur...

le 3 oct. 2015

30 j'aime

1

Le vent se lève
Lubrice
8

Critique de Le vent se lève par Brice B

Le film commence par une séquence forte. On assiste, impassibles, à la mort d'un jeune homme de 17 ans, mort sous coups des soldats de la couronne pour avoir refusé de décliner son identité en...

le 7 janv. 2011

25 j'aime