Publié sur L'Homme Qui Lit :
C’est terrible une belle rentrée littéraire. Certaines années, j’ai regardé les titres à paraître avec un œil las, les énièmes publications d’auteurs ou d’autrices dont le nom fait vendre du papier et qu’on sort du placard à l’occasion de l’évènement littéro-commercial de l’année, pour qui on se dit « il n’a pas eu de prix depuis trois ans, on va peut-être lui en donner un cette année ! », ces années là j’ai évité les nouveautés pour me plonger dans les valeurs sûres de ma bibliothèque et de mon interminable pile-à-lire. Mais pas cette année. Cette année, c’est un fourmillements de bons livres, je ne sais plus où donner de la tête. Les lectures se suivent et ne se ressemblent pas, mais certaines m’émerveillent, et c’est exactement ce qui s’est passé avec Nickel Boys, que j’ai littéralement englouti en une soirée, incapable de le refermer avant de l’avoir terminé.
Elwood Curtis est un jeune afro-américain qui a devant lui un bel avenir. Ce sont les années 60, et le gosse est élevé par sa grand-mère Harriet après que ses parents soient partis faire leur vie ailleurs, un beau matin, en le laissant là comme un fardeau trop lourd à porter. Harriet, elle est femme de chambre dans un hôtel, elle vit chichement mais elle aime son petit-fils à l’esprit vif qui se passionne pour les discours de Martin Luther King et qui après quelques années difficiles voit les étoiles s’aligner pour le laisser entrer à l’université et lui offrir cette vie dont il rêve déjà.
Un grain de sable le propulsera devant un juge qui le condamnera pour quelque chose dont il n’est pas responsable, et Elwood étant mineur, il sera envoyé dans une maison de correction éloignée de chez lui, la Nickel Academy. Sous des allures d’établissement éducatif visant à remettre la jeunesse dans le droit chemin, se cache en réalité un endroit terrible, où les pires atrocités ont lieu sans que personne n’en sache rien. Ou plutôt, sans que personne n’en dise rien. Les blancs et les noirs y sont enfermés sans distinction mais même dans cette ambiance carcérale la ségrégation prévaut et chacun vit dans un espace séparé, avec un traitement séparé.
Elwood rencontrera Turner à la Nickel Academy et tous deux deviendront amis, même si on pourrait dire que les choses n’étaient pas gagnées d’avance. C’est ensemble qu’ils subiront la cruauté des hommes blancs envers les jeunes noirs, la violence, la haine et les privations, tandis que les apparences sont préservées pour les regards extérieurs. Un endroit terrifiant dont ils espèrent sortir vivants.
Le roman est une œuvre de fiction, mais est inspiré par un fait réel à propos de la Dozier School for Boys, un établissement de correction de Floride qui est l’exacte réplique de cette Nickel Academy et qui n’a fermé que récemment. Sur le site furent découvertes des dizaines de tombes dissimulées dans lesquelles furent trouvés les restes de ces garçons qui avaient disparu du jour au lendemain dont on pensait qu’ils avaient fugué et s’étaient perdu dans les marais. Une histoire effroyable, un roman superbement écrit à propos de ce passé cruel, dans un pays qui n’est jamais parvenu à dépasser la question raciale et qui, au moment où ce livre permettait à Colson Whitehead d’obtenir le prix Pulitzer pour la seconde fois, était en proie à des émeutes raciales un peu partout sur le territoire. Certaines blessures ne cicatrisent jamais.
Nickel Boys, de Colson Whitehead est publié aux États-Unis en juin 2019 chez Doubleday sous le titre « The Nickel Boys » . Il est publié en France aux éditions Albin-Michel le 19 août 2020 dans une traduction de Charles Recoursé.