On ne saurait résumer Nickel Boys par son twist final, mais quand même, quelle puissance émotionnelle dans cette révélation soudaine qui donne envie de relire le roman depuis son début, muni d'une information inattendue et dramatique. Colson Whitehead a écrit un digne successeur à Underground Railroad, moins ample mais bien plus fluide, avec une force tranquille pour revenir sur un thème essentiel : l'Amérique ségrégationniste, dont l'actualité récente, hélas, confirme la permanence malgré les progrès accomplis ces 50 dernières années. Ceux qui ne sortent pas bouleversés du livre et avouent même une certaine déception pointent un manque d'émotion dans le récit de Whitehead. Comme s'il était besoin de détailler plus explicitement les sévices subies par les garçons enfermés dans une école/maison de correction ! La terreur est là, palpable, et l'on est au contraire reconnaissant à l'auteur de n'avoir pas fait montre de complaisance pour évoquer les atrocités commises. Un bon film d'horreur est celui qui suggère plus qu'il ne dévoile, s'attachant à décrire un climat étouffant où le pire est toujours susceptible d'arriver. Corrections de mineurs qui ne le sont pas, mineures, infligées en priorité aux gamins noirs, comme si la couleur de peau déterminait une violence accrue. Nickel Boys ressemble à certains livres décrivant l'Apartheid en Afrique du Sud, un système implacable et raciste, destiné à rabaisser et à humilier une communauté, considérée comme inférieure, comme si la chose allait de soit et ne souffrait nulle contestation. En s'attachant au destin d'Elwood, de Turner et de quelques autres, Colson Whitehead use de tout son talent littéraire au service d'une cause qui n'a pas cessé d'être cruciale. Avec pour guide Martin Luther King, omniprésent dans Nickel Boys, qui intime "d'aimer ses ennemis" jusqu'à ceux-ci comprennent la monstruosité de leurs convictions et de leurs actes. La route est encore longue mais le roman de Colson Whitehead est de ceux qui peuvent aider à faire évoluer les mentalités, espérons-le.