Une fable douce-amère sur les dangers du rêve éveillé...

Voilà un bien beau livre qui ne présente guère une vision souriante de la vie mais vous touche par son portrait désabusé d'un rêveur déçu. Sans être le "madame Bovary" de la péninsule nordique, le danois Niels Lyhn est l'alter-go désabusé du conteur Jens Peter Jacobsen , un personnage apparemment peu enclin à l’optimisme. Cette semi-autobiographie a le mérite d'exposer de manière crue la déconnexion universelle entre nos rêves et la réalité.


Niels fait partie d'une classe privilégiée et rentière , il ne manque pas d'argent, vit une existence oisive, et devrait davantage profiter de la vie, mais il est pris au piège d'une certaine idée de lui-même, une vision qui le rend dépositaire d'une vérité poétique qui ne saurait tarder à s'exprimer en vers dès qu'il sera assez mûr pour l'extérioriser. Se croire poète, croire que la vie sera à la hauteur de ce rêve, voila la malédiction qui va accabler ce personnage à la fois fade et sympathique.


Ce livre commence bizarrement sans son personnage principal, en nous narrant le destin funeste d'une jeune fille qui verra ses rêves romantiques battus en brèche par la monotonie de la vie conjugale. Sur le même mode, le tout jeune Niels qui rejoint l'histoire enfant, tombe amoureux d'une cousine qui aura juste le temps de l'avertir de la folie de l'éloge romantique avant de mourir trop jeune. Une scène excellente voit cette jeune cousine éconduire un amoureux de manière assez brutale dans sa rationalité cynique.


Niels se croit poète, ses amis se croient artistes ou sculpteurs et certains le sont. Aucun pourtant ne seront épargnés par la mort de l’inspiration ou pire encore sa totale absence (Niels voyage, mais en tire peu profit). Les femmes dont ils tombent amoureux tiennent toutes un langage cassant, interdisant à leurs amants de recouvrir leur réalité de femme sous un glacis poétique, romantique et inepte. (Un très bon monologue d'une amante plus mûre et plus lucide que notre héros) ... On reste frappé par la modernité de certains passages du livre, notamment donc dans la bouche des femmes, ainsi que par la finesse de l'analyse de certaines "souffrances" humaines


Enfin, au fur et à mesure que notre personnage vieillit, les amitié s'émoussent , les femmes et les hommes se fatiguent les un des autres, les amis se trahissent, laissant même notre héros empêtré dans un adultère sans joie et sans courage. Un constat assez morose donc.


Et pourtant ce livre se laisse parcourir avec beaucoup de plaisir je trouve, l'auteur n'étant pas sans tendresse pour ces pauvres naufragés. La leçon est cruelle, presque comique, mais elle est joliment présentée, et ferait sans doute un bon film d'époque. Il m' a conquis en tous cas, et je le recommande , guys et guysettes!

nostromo
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le 3 sept. 2019

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nostromo

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