Il est un romantisme épidémique, fiévreux, et fabuleux à la fois, qui s'est répandu au XIXe siècle jusque dans le Nord mythique rêvé par Mme de Staël, baigné par les mers de brumes de Caspar Friedrich, et où les traîtres Hyperboréens sont venus faire une cure de soleil.
Ce romantisme en bacille s'attaque à tous les personnages du roman de Jacobsen. C'est passionnant de voir ainsi triompher partout peu à peu la maladie avec l’inéluctabilité terrible des choses inconscientes. Ce romantisme vient à bout des réalistes endurcis, des sages et des esthètes. Le livre déploie ces luttes que chaque individu mène contre le romantisme. Tantôt le combattant, tantôt l'acceptant, puis finissant par faire son chemin avec la maladie et ses infortunes.


Comment décrire les stades de la maladie ?
Le cas Niels Lyhne


Les antécédents : Une mère artiste refoulée, une nature sensible, une imagination ardente mais vague, embrumée, imprécise, sans projet.
Les symptômes : atonie intellectuelle et asthénie nerveuse, délires imaginatifs entrecoupés d'intervalles lucides, érotomanie, procrastination aiguë.
Traitement : philosophie nietzschéenne (« la joie est plus profonde que la peine », Ainsi parlait Zarathoustra, IV)


Mais en fait à la lecture j'ai été saisi, stupéfait, par le parallèle possible avec la philosophie de Kierkegaard, compatriote et presque contemporain de Jacobsen. Parallèle et non correspondance, car ils s'opposent radicalement sur les « fins » : athéisme pour l'un, « saut dans la foi » pour l'autre.
Pourtant les deux premiers stades déclinés par Kierkegaard sont bien présents dans Niels Lyhne. Au stade esthétique, le poète sans œuvre vit en dilettante parmi des artistes, se gorgeant de rêveries d'art et gloires futures : il fait du désir même un roman de l'idéal, amour malheureux et esthétisé. Roman du désir, romantisation du monde dans toutes ses dimensions : « il faut romantiser le monde » disait Novalis.
Au stade éthique, Niels Lyhne arrive aussi : le mariage, ses tentations, ses palinodies, occupe avec sa méditation existentielle une bonne part du roman. Jusqu'à sa faillite. Mais si à ce stade, Kierkegaard propose une sortie dans le stade religieux, Jacobsen propose quant à lui, avec toute la cruauté des illusions perdues, un choix difficile de l'athéisme, saut au moins aussi risqué pour faire face au désespoir de manière lucide, terminant le roman sur cette formidable volte : « Si j'étais Dieu... (…) je préférerais accorder le salut éternel à ceux qui meurent sans s'être convertis ». C'est dans cette grande conclusion, dans les élans contradictoires du romantisme, dans les caractères si bien saisis, de la déconfiture d'un merveilleux Faust raté (M. Bigum) à l'amitié ruinée par les grandes espérances que le livre est bien comme l'indique Rilke un livre à lire et relire, un roman d'athée adoré par un grand mystique.

Raphmaj
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le 8 mai 2015

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