Moins long et plus diversifié qu'un Dagon
Il existe un cliché de Lovecraft que colportent toutes les quatrièmes de couverture de ses recueils de nouvelles aux éditions J'ai lu, celui d'un homme "malade", "reclus", "misanthrope" qui aurait condensé sa haine de la modernité dans ses fictions à l'horreur cosmique insoutenable. Et finalement les nouvelles choisies collent généralement assez bien au cliché : un narrateur, simple pantin du destin dont la seule émotion qu'il est capable de ressentir est celle de la peur, fait une découverte abominable et aux implications désastreuses pour l'humanité et/ou l'idée qu'elle se fait d'un univers harmonieux et vivable. Le lecteur en a eu pour son argent, il a eu ce qu'on lui avait promis, et la plupart du temps il a trop envie d'aimer Lovecraft pour se dire que c'est un peu toujours la même chose écrite à peu près de la même façon.
Ce Night Ocean, c'est au contraire l'occasion de se faire une nouvelle idée de cet auteur et de ses registres d'écriture. La préface, judicieuse, nous informe dès le début : Lovecraft était aussi un homme qui correspondait avec de nombreux amis, qui travaillait souvent avec eux, qui savait rire et s'éloignait régulièrement du schéma bien connu de ses histoires d'épouvante. Les nouvelles ici présentes ont pour but d'éclairer ces facettes moins connues de Lovecraft et de casser un peu le cliché dont abusent les services de communication des éditeurs.
Forcément, le lecteur habituel risque d'être décontenancé, voire déçu, notamment face à la biographie absurde d'Ibid, les nouvelles parodiques de Cosmos effondré (non achevé) et Bataille à la fin du siècle ou même devant l'histoire loufoque et ironique de Douce Ermengarde. Il faut se dire qu'on ne lit pas Night Ocean pour le simple divertissement, mais avec l'objectif de lire un Lovecraft différent et de découvrir certaines de ses collaborations. Et notamment, on y découvrira en début de recueil des nouvelles à l'ambiance onirique, voire de véritables poèmes en prose qui contrastent violemment (et pour mon plus grand bonheur) avec ses habituels récits au style concret malgré leurs événements surnaturels.
On notera enfin le Livre de Raison, qui rassemble les conseils de Lovecraft pour écrire un récit d'épouvante ainsi que de nombreuses pistes (idées de scène, de scénario, d'ambiance) pouvant déboucher sur une nouvelle. Souvent issues de ses lectures ou de ses rêves, elles permettent de se faire une idée de la façon dont l'auteur travaillait, ce qui peut s'avérer plaisant bien que cela n'intéressera évidemment pas tout le monde.