C'est un bien bon livre que je me suis enfilé pour Noël. Bon, j'en ai encore une liste toute pleine d'autres ouvrages, mais celui-ci m'avait frappé dans l'oeil. Déjà, parce que j'avais déjà écouté les conférences de M. Pastoureau, historien médiéviste de son état, au Louvre, sur Internet, et que ça m'avait passionné. Ensuite, parce que, en tant qu'étudiant historien, la question de la couleur, je trouve, est très fortement sous-estimée dans l'analyse des documents. Alors, quand j'ai vu l'un des livres de l'histoire des couleurs, j'ai foncé. Et j'ai bien fait.
Pourquoi ? Le livre de Pastoureau retrace l'histoire de la couleur noire depuis les origines jusqu'à nos jours. Loin de se limiter à la seule question de "comment voyait-on le noir à telle période", ce sont les codifications sociales, les considérations théologiques, les préoccupations esthétiques qui sont pleinement montrées. Ainsi, le noir, considéré depuis les périodes antiques comme structurellement ambigü, ténèbres dangereuses mais aussi matrice du Monde (en tout cas pour les mythologies antiques), fut considéré de manière polyvalente par la Chrétienté, haïe pour ce qu'elle représentait (le Diable, le corbeau traître, les Ténèbres), mais aussi pur signe de l'humilité devant Dieu. Les luttes entre moines noirs (clunisiens) et blancs (cisterciens) le représentent à plus d'un titre. Mais, au XIVe Siècle, l'habit noir devient une mode certaine en raison de l'humilité qu'elle représente, poussant les teinturiers à hâter la fabrication d'un tissu réellement noir (ceux réalisés auparavant n'étaient noirs que superficiellement), créant ainsi une mode certaine qui durera au moins jusqu'au XVIIe Siècle. Elle sera relayée par une éthique protestante bannissant les couleurs et se tenant à un habit noir symbole d'humilité. En parallèle cependant, la diffusion de l'imprimerie (avec des caractères noirs sur blanc), le spectre des couleurs découvert par Newton puis la photographie tendent, peu à peu, à faire sortir le noir de l'ordre des couleurs pour en faire une non-couleur, au même titre que le blanc. A notre période contemporaine, le noir reste le signe de l'élégance, du mystère, mais comporte encore sa part d'ombre, de ténèbres.
Vous aussi devriez foncer pour acheter ce livre, que vous soyez historien ou non ; pour les historiens aguerris, il est une ouverture historiographique passionnante portant un nouveau regard sur la matérialité de ce sur quoi on travaille. Pour des étudiants, c'est un moyen de mieux questionner les documents. Et, pour les simples curieux, c'est une façon de découvrir comment le Monde d'aujourd'hui, celui de toutes les couleurs et de leur signification, a pu aboutir de milliers d'années de symbolisme, de catégorisation sociale et de perception du monde ; car c'est au final l'actualité de la question que recherche un historien, et force est de constater que le cahier des charges est tenu, ici.