En 1965, Kenzaburô Oé se rend à Hiroshima pour écrire une série d’articles autour de la Conférence contre la prolifération des armes nucléaires qui s’y tient. Un voyage grave à plus d’un sens. Pour l’auteur, c’est prendre de la distance avec un vécu personnel bouleversant, la naissance de son fils handicapé, et se plonger dans un univers opaque, insondable: Hiroshima vingt ans après les bombes. Que reste t’il de la ville? Beaucoup. Et rien. Et dans la brèche: le surgissement furieux de la vie et de la dignité humaine.

Ce qui ne devait être qu’un voyage professionnel, et le suivi de conférences autour de l’armement nucléaire, à l’époque des essais de la Chine, allait devenir un parcours initiatique au pays de la résistance humaine, des ressources de ceux qui « restent ».

Hiroshima, c’est l’histoire d’un combat, de la résistance de milliers de victimes, dont le sort mis des années à être reconnu. En 1945, un communiqué de la commission de l’armée américaine annonce officiellement que « Tous ceux qui devaient mourir des suites de la radioactivité dégagée par l’explosion atomique sont morts, et on ne constate plus d’influence physiologique des radiations résiduelles ». Occupé pendant sept ans par l’armée américaine, le Japon allait connaître la censure autour de ces dommages pourtant inédits et mal connus, et il allait falloir attendre 1954 pour que le terme « hibakusha » apparaissent pour désigner les « atomisés ».

Face à ce silence, à ce déni, ce sont des milliers de malades, non pris en charge, non accompagnés, qui allaient mourir, à Hiroshima et autour, dans l’incompréhension, ou pire, dans l’appréhension de ce qui pouvait arriver par la suite….en témoigne cette histoire d’un homme atomisé, qui plutôt que d’attendre ressentir en lui les signes terribles de la dégénérescence allait préférer mettre fin à ses jours que de vivre sous une telle épée de Damoclès. Le suicide. Ils furent des centaines à le préférer plutôt qu’aux regards de pitié ou de crainte, sur leurs corps suppliciés et déformés.

Vivre. Mourir. Suicide. Survie. Vie.

Primo Levi, en évoquant ces souvenirs de camps de concentration dans « Si c’est un homme » souligne également la question difficile du témoignage, et de l’impossibilité de parler exactement d’un événement où les seuls à même de parler de l’horrible exactitude de la chose sont morts. Qui parlera pour les hommes morts dans les camps? Ceux qui n’ont pas été libérés? Qui parlera pour les hommes morts dans le foyer même de choc de la bombe? Qui saura ce qu’il s’est passé au point d’impact?

Avec les radiations, les données deviennent encore plus vicieuses….la mort s’infiltrant lentement dans le corps..Ôé évoque le courage de ces médecins irradiés le jour du bombardement, restant sur place malgré les risques pour soigner les blessés, luttant contre une échéance déjà infiltrée dans le corps du patient mais aussi du médecin.

Ôé cite cette phrase d’Albert Camus, extraite de « La Peste« et qui sera notre conclusion…Ce qui m’intéresse…c’est de savoir comment on devient un saint. – Mais vous ne croyez pas en Dieu. – Justement. Peut-on être un saint sans Dieu, c’est le seul problème concret que je connaisse aujourd’hui« .

Emma Breton
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le 2 août 2012

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