Considéré comme un essai, ce petit livre nous vient du lointain passé du Japon. L’auteur, un moine bouddhiste, vivait seul dans un modeste ermitage de montagne construit de ses mains, dans la région de Kyôto qui était alors la capitale du Japon.
En 1212 (deux siècles avant la naissance de Jeanne d’Arc chez nous), Kamo no Chômei (né en 1153 ou 1155 et mort en 1216) approche de la soixantaine mais aussi de la mort. Ses besoins matériels sont minimes et il ne voyagera plus. Au cours de sa vie, il a été témoin de pas mal d’événements et il a rencontré un certain nombre de personnes. De toutes ses observations ressort l’impermanence des choses de notre monde. Le tout début est particulièrement révélateur :
« La même rivière coule sans arrêt, mais ce n’est jamais la même eau. De-ci, de-là, sur les surfaces tranquilles, des tâches d’écume apparaissent, disparaissent, sans jamais s’attarder longtemps. Il en est de même des hommes ici-bas et de leurs habitations. »
Dans un premier temps, l’auteur revient sur un certain nombre de catastrophes naturelles ayant causé des malheurs et dévasté de nombreuses habitations. Il met ainsi en parallèle la vanité des possessions humaines avec son envie de diminuer son espace vital (en plusieurs étapes). Limitant désormais ses besoins au strict nécessaire, il se contente des plaisirs de la littérature (poésie surtout) et de la musique (il joue du luth).
Dans un deuxième temps, il explique que les innombrables contrariétés ayant émaillé sa vie l’ont incité à trouver refuge dans l’isolement, la réflexion et la méditation, pour finalement se satisfaire de sa condition de moine à l’écart de toute communauté.
Ces 31 pages constituent un document étonnant sur les pensées profondes d’un homme qui vécut environ 8 siècles avant nous. Toutes ses observations et conclusions sur la condition humaine peuvent être transposées au monde d’aujourd’hui. Sachant qu’elles émanent d’un homme au soir de sa vie (et de son irremplaçable expérience), on pourrait les tenir pour un chef d’œuvre absolu en raison de leur concision, de leur lucidité ainsi que d’un style d’une grande pureté (phrases plutôt courtes sans aucune recherche de grandiloquence, de la finesse pour les sous-entendus et quelques réflexions où l’émotion surgit malgré la pudeur). N’oublions pas les merveilleuses descriptions de la nature.
Mais il faut absolument lire la très érudite postface (signée Jacqueline Pigeot) de cette édition pour en savoir plus et mieux comprendre ce texte. Hôjô-Ki (titre original) ne sort pas de nulle part. L’auteur n’était pas un moine anonyme. Kamo no Chômei était réputé pour sa poésie et sa musique. Il avait fréquenté la cour impériale et il avait espéré obtenir un poste de responsabilité. Les circonstances lui ayant été défavorables, il pouvait en avoir conçu une certaine rancœur. Ces Notes de ma cabane de moine peuvent constituer une sorte de preuve de son renoncement aux choses de ce monde. D’autre part, le titre fait clairement référence à Notes de ma chaumière du chinois Bai Juyi (772-846), ainsi qu’aux Notes du pavillon de l’étang (982) de Yoshishige Yasutane dont Chômei se rapproche en tant que bouddhiste adepte du « Sûtra du Lotus ». L’utilisation de son nom de moine (Ren’in), à la fin de son texte, serait un hommage de Chômei à Yasutane.
On apprend que si Chômei affirme vivre sans femme et sans enfant, la stricte vérité serait qu’il les avait perdus. Pourquoi est-il entré en religion ? Il se situait dans l’Amidisme, le courant bouddhique dominant de son époque. Au Japon alors, se côtoyaient shintoïsme et bouddhisme. Les deux écoles du Zen ne furent introduites au Japon qu’en 1191 (le Rinzai), puis 1227 (le Sôtô). A moins de connaître tout cela au préalable, les pratiques de l’auteur restent très allusives. Pourquoi parle-t-il autant d’habitations, se contentant d’allusions aux bouleversements politiques importants de son époque ? Chômei écrit lors d’une période charnière de l’Histoire du Japon, on aimerait en apprendre bien davantage.
La présente édition, considérée comme intégrale, reprend la traduction du Révérend Père Sauveur Candau (1897-1955) qui passa près de trente ans au Japon, ses étudiants louant sa parfaite connaissance du japonais. Sachant qu’il existe de nombreuses versions (courtes, longues, copies anciennes ou non, avec parfois des erreurs, etc.) celle-ci séduit par son naturel. Jacqueline Pigeot souligne ses choix en la qualifiant de parfaitement rythmée. On pourra apprécier toutes les notes de bas de page qui renvoient vers les éléments de sa postface.