Notre-Dame-des-Fleurs n´est pas une lecture facile. D´abord, c´est un roman dont la narration est éclatée, la chronologie peu claire, les espaces indiscernables ; la faute à un narrateur interne (Jean Genet lui-même, qui écrivit Notre-Dame depuis sa cellule de prison) qui se soucie peu de différencier ses souvenirs de ses fantasmes. Le résultat est un récit souvent hallucinant, saturé d´affect et de poésie.
Ensuite, et c´est aussi là son plus grand intérêt, c´est un roman purement abject, au sens où l´entend Kristeva, c´est-à-dire un éloge immense de ceux (et ce) qui déstabilisent l´ordre établi, qui crachent un gros molard à la face de la morale et se réjouissent de sa destruction, sans remords ni scrupule. Que les choses soient claires : il ne s´agit pas d´une lecture sur la grandeur du mal, sur une éventuelle remise en question du bien comme principe de vie. Ici, la valeur des personnages est mesurée à l´aune de leur lâcheté, de leur égoïsme, de leur absence, justement, de grandeur. C´est leur petitesse à tous, la laideur de leurs actions et de leurs attitudes, qui les fait briller comme des soleils. Voilà le superbe tour de force de Genet: ses personnages médiocres, désespérés, dépourvus de la moindre qualité, sont aussi parmi les plus beaux (physiquement, spirituellement) que la littérature française ait produite. D´une beauté charnelle, érotique et violacée, érotique dans sa violence et dans son vice.
Ce n´est pas facile de faire honneur en quelques lignes au travail de Genet, dont on pourrait croire qu´il s´agit surtout de provocation. Sans doute, les quatre murs de sa cellule ont dû fournir un terreau fertile pour son amertume. Mais son écriture est si vertigineuse, son parti pris si radical, que toute considération politique semble déplacée. Je crois me souvenir que Notre-Dame est présenté, au début du roman, comme un conte - une dénomination qui étonne d´abord, tant le cadre de la narration s´ancre dans un contexte de misère sociale affreusement terrestre. Pourtant, petit à petit, on s´enfonce dans ce bourbier dégueulasse, la tête la première, et on s´en badigeonne les sens avec délice. À la fin du roman, au tribunal, on se demande où sont passés les taches de foutre et les méchants travelos. Ils sont là, mais ils ont de vrais noms, de vrais habits et de vrais odeurs. Et là, on se rend compte que depuis 350 pages de mesquineries et d´abjections en tout genre, on traîne dans un monde enchanté.