Natacha Polony est journaliste. Je tiens à le rappeler, au cas où ce livre sans source, sans référence et sans travail d'enquête vous aurait perturbés. Un essai donc, mais un essai jus-de-crâne, dénué de toute démarche factuelle. Quand on ne s'appelle pas Friedrich Nietzsche mais Natacha Polony, l'exercice s'annonce périlleux.
On s'en méfie dès l'introduction. Pour elle, "une majorité du peuple français" ne serait ni dans le camp des identitaires, ni dans celui des "chasseurs du fascisme". Comprenez : les politiques, journalistes, associations antiracistes qui crieraient trop souvent au loup. Aucun sondage ni étude ni enquête pour appuyer cette "majorité du peuple français". Et un adversaire vague, sans cesse évoqué mais jamais défini. Pendant la majeure partie de son bouquin, l'ancienne protégée de Ruquier argumente par l'impression d'évidence et la dénonciation d'un ennemi invisible. Bref, n'argumente pas.
Prenons le libéralisme. Polony attaque "un modèle économique aberrant au mépris de toutes les aspirations de la majorité des populations". Se doutant qu'une telle affirmation a peu de chances de passer sans démonstration (quand bien même elle paraîtrait logique), elle se contente d'évoquer les différents échecs de référendums sur l'Union européenne. Aucune mention de "modèle économique" dans ces différents référendums en France, Irlande ou au Danemark, mais peu importe. L'Europe c'est le libéralisme, les gens ont voté contre l'Europe, donc les gens sont contre le libéralisme. Là encore, n'est pas Nietzsche qui veut.
Polony a tout de même quelque mérite. Sur la laïcité et l'intégration de l'islam en France, elle est pertinente. Réfléchir à l'identité nationale n'exclut pas nécessairement les nouveaux venus ; le débat lancé par Nicolas Sarkozy sur cette identité était nauséabond et a largement desservi le propos ; l'identité individuelle est paradoxalement sacralisée en Occident alors que l'identité collective est perçue comme "un enfermement". Elle prend trois références en la matière : Abdennour Bidar, Ghaleb Bencheikh et Olivier Roy. C'est lorsqu'elle s'appuie sur des sources inattaquables et des faits que son argumentaire tient la route. En deux pages, elle cite plus de sources que dans la plupart de ses chapitres. Pour un ouvrage de journaliste, ce constat est sinon désespérant, du moins particulièrement agaçant.
Ridiculiser des adversaires invisibles pour se donner du crédit
Natacha Polony passe son temps à se battre contre des moulins. Elle s’indigne de choses qui se passeraient, de gens qui voudraient détruire, au choix : la France, la laïcité, l’identité, la culture, les terroirs… Sans jamais nommer ces ennemis imaginaires, c’est plus simple. Développant un passage indigné sur les non-dits en France : "Il ne faut pas le dire. Il ne faut pas dire que l’antisémitisme s’est réveillé en France". Ah ? Qui exprime la volonté de taire l’antisémitisme en France ? Les médias s’autocensurent ? Les politiques ont tendance à récuser les violences faites aux juifs en France ? Le dernier épisode marseillais prouve le contraire.
Ses ennemis sont non seulement invisibles, mais nombreux : "les détecteurs de fascistes", "les obsédés de la dérive pétainiste"… Elle se bat contre des hordes de géants imaginaires, comme pour légitimer sa démarche, montrer que ses idées relèvent de l'absolue nécessité. L'une de ses phrases les plus magnifiques : "Défendez la potée auvergnate, plat emblématique d’un pays où la géographie s’invite en cuisine et dicte les spécialités, et l’on vous accuse de rouvrir les camps de concentration." Une phrase qui contient : un lien de cause à effet stupide, une posture victimaire récurrente, un "on" qui tombe bien à propos pour légitimer tout un paragraphe sur les terroirs français, un point Godwin. Magnifique de stupidité.
Don Polony Quichotte fait de la politique
En réalité, à moitié à découvert, Natacha Polony fait campagne. À propos du non-respect de la minute de silence du 11 janvier à l'école, elle s'interroge - justement - sur la pertinence de "demander à des enfants de CE2 s'ils 'sont Charlie'", et rappelle qu'il serait bon de "sortir des slogans". Tout juste, sauf que quelques pages plus loin, et tout le long du livre, elle gratifie le lecteur d'une ribambelle de slogans et phrases toutes faites. Florilège :
"À ce rythme-là, la France ne désignera bientôt plus une nation mais une marque commerciale."
"Le droit des peuples à disposer d'un écran plat", répété trois fois.
"L'immigration n'est ni une chance ni un drame, elle est un fait."
Des slogans qui ne détonneraient pas au milieu d'autres affiches de campagne.
Dans son dernier chapitre, "Que faire ?", elle annonce : "Il faut tout envisager : (…) bousculer les vieux partis politiques, donner aux Français un horizon plus noble que la simple quête du bien-être par la consommation et de valoriser autre chose que les modèles publicitaires." Une phrase qui sonne comme un cri du cœur, une future annonce de candidature. Sur le plateau d'On n’est pas couché, Léa Salamé lui demande pourquoi elle ne s’engage pas en politique. "Faire de la politique m’a toujours intéressée, mais pas en l’état actuel du système", répond-elle. À force de marteler des slogans et des idées simples, la chroniqueuse au Figaro donne pourtant l’impression d’une femme politique en campagne de communication.
Ainsi en conclusion du premier chapitre : "Alors, qu’il soit permis d’analyser la situation différemment pour proposer à tous les Français un horizon commun. Il en va de l’avenir de la République." L'ex-journaliste à Marianne n'est pas une "femme politique" au sens strict du terme. Elle veut tout modestement sauver la France. À coups de déclarations graves et de conclusions pompeuses, Natacha Polony prépare son prochain combat. Bientôt son "Projet pour la France", encartée très à droite ?