Je commencerai avec cet extrait, que j'ai trouvé intéressant, pages 20 et 21 :
"Quand j'étais à l'école primaire, à Nsukka, une ville universitaire du sud-est du Nigeria, la maîtresse a annoncé au début du semestre qu'elle nous donnerait un devoir et que celui qui obtiendrait la meilleure note serait le chef de classe. Un rôle important. Non seulement le chef de classe inscrivait quotidiennement le nom des élèves turbulents - un pouvoir déjà grisant-, mais la maîtresse lui remettait une baguette à tenir à la main lorsqu'il arpentait la salle de classe à la recherche des élèves turbulents. Même s'il était, bien sûr, interdit de s'en servir, c'était une perspective enthousiasmante pour l'enfant de neuf ans que j'étais. J'avais très envie d'être chef de classe. Et j'ai eu la meilleure note. Puis, à ma grande surprise, la maîtresse a déclaré que le chef de classe devait être un garçon. Persuadée que cela coulait de source, elle avait oublié de nous le
préciser. C'était un garçon qui avait eu la meilleure note après la mienne. Il serait donc chef de classe."
Voilà le genre de lectures que je trouve importantes. Dans le cas présent, non parce qu'elle apporte une vision spécialement novatrice, car la plupart des choses qui y sont dites ont déjà été mises en avant, mais parce que l'auteure y apporte un point de vue novateur à la lumière de sa propre expérience, elle qui a vécu ses jeunes années au Nigéria. Le poids des conventions sociales y est encore plus oppressant et elle explique avec beaucoup de justesse que, même inconsciemment, il y aura toujours une tendance générale à attendre quelque chose de différent d'un homme et d'une femme. Une femme qui fait preuve d'autorité est susceptible d'être critiquée, là où un homme qui fait preuve de la même autorité aspire au respect. Cet exemple qui pourrait figurer parmi d'autres se retrouve dans tous les types de sociétés au final, à des degrés certes plus ou moins différents.
"Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous-estimer. Nous leurs disons : tu peux être ambitieuse, mais pas trop. Tu dois viser la réussite sans qu'elle soit trop spectaculaire, sinon tu seras une menace pour les hommes. Si tu es le soutien de famille dans ton couple, feins de ne pas l'être, notamment en public, faute de quoi, tu l'émasculeras."
"Et si dans l'éducation de nos enfants, nous nous concentrions sur leurs aptitudes plutôt que sur leur sexe ? Sur leurs centres d'intérêt plutôt que sur leur sexe ?"
Et c'est malheureux, parce que ces paroles ou attitudes sont souvent inspirées par de bonnes intentions, comme quand elle raconte l'anecdote de ce journaliste nigérian qui avait voulu lui donner un conseil en lui expliquant attristé qu'il fallait qu'elle évite de se présenter comme une féministe car les féministes sont malheureuses et ne trouvent pas de mari.
Il y a presque autant de définitions du féminisme que de féministes. Le noyau de base à mon sens consiste en une aspiration à l'égalité et à la liberté de choisir ce que l'on veut être. Non en tant que femme, mais en tant qu'être humain. Se catégoriser féministe n'est pas un rejet des hommes, on parle au nom des discriminations qui sont faites à raison du sexe, mais en qualité d'être humain, les hommes devraient se sentir tout autant concernés que les femmes. Mais comme Chimamanda Ngozi Adichie le dit très bien dans son livre, le mot 'féministe' est chargé de connotations négatives : on déteste les hommes, on ne s'épile pas, on n'a aucun sens de l'humour... Ce qui est navrant, car cela jette parfois le discrédit sur les idées féministes et ça porte atteinte à l'écoute et à l'attention que l'on peut accorder au message pourtant important qui est véhiculé.
Pages 24 et 25 :
"Les hommes et les femmes sont différents. Nous n'avons ni les mêmes hormones, ni les mêmes organes génitaux, ni les mêmes capacités biologiques -les femmes peuvent avoir des enfants, les hommes non. Les hommes sécrètent de la testostérone et sont en général plus forts physiquement que les femmes. Il y a un peu plus de femmes que d'hommes dans le monde -elles constituent cinquante deux pour cent de la population mondiale-, pourtant les hommes occupent la plupart des
postes importants ou prestigieux. (...) Au sens propre du terme, les hommes dirigent le monde. Cela s'expliquait il y a un millier d'années parce que les êtres humains vivaient dans un environnement où la force physique était l'attribut essentiel pour la survie. (...) Le monde où nous vivons aujourd'hui est complètement différent. L'être le mieux qualifié pour diriger n'est pas le plus fort physiquement. C'est le plus intelligent, le plus cultivé, le plus créatif, le plus inventif. Les hormones ne jouent aucun rôle dans ces qualités. (...) Nos idées sur la question du genre, en revanche n'ont pas beaucoup progressé."
J'ai été aussi très marquée par un court passage où elle explique qu'elle continue de lutter parfois contre les schémas de pensées qui sont ancrés en elle. Il s'agit d'une réévaluation constante de tout ce qu'on nous a poussé à intégrer lorsque nous nous sommes construits. Et je m'y reconnais.
La nouvelle "Les marieuses", qui suit son essai, est également un témoignage intéressant de son mariage arrangé par son oncle et sa tante avec un nigérian en voie de devenir médecin, qui avait migré aux Etats-unis. Elle y raconte son arrivée sur place et le comportement révélateur du poids des conventions sociales qu'elle a eu à subir, aussi bien de la part de son mari que de sa famille.
Une lecture que je recommande donc. Le livre se lit très facilement et il est court.