Dans le Japon de l'immédiat après-guerre, deux âmes perdues tentent de ressusciter un amour passionnel mais passager né de leur expérience en Indochine dans l'administration coloniale japonaise. Nuages flottants est l'histoire de cette quête impossible, l'histoire de deux êtres profondément tourmentés, errant entre la volonté de vivre et l'abandon passif vers la mort. Inutile de cacher que la lecture du roman est donc éprouvante, le pessimisme de Fumiko Hayashi, déteignant lentement sur l'humeur du lecteur.
Certes la lutte désespérée et aveugle de Yukiko pour rester auprès de Tomioka, ou bien l'hypocrisie et misogynie de Tomioka peuvent paraitre exaspérants. Mais en réalité, il s'agit là de la grande force du roman : exacerber les sentiments humains en les plaçant constamment au bord du précipice, pour mieux nous montrer leur complexité.
L'autre force de Nuages flottants est de tisser un subtile parallèle entre le désarroi de nos deux personnages avec celui du Japon des années 1950. Un Japon non seulement touché par une extrême pauvreté mais aussi, et surtout, en pleine quête de repères et d'identité. Certains personnages adoptent pleinement le modèle de vie capitaliste de l'occupant, d'autres se perdent dans un nouveau fanatisme religieux. Nos personnages plongent lentement dans la mort, endormis par la nostalgie de la grandeur passée et las de lutter pour survivre.
Quoi de mieux pour terminer cette critique que quelques extraits montrant toute la noirceur et la force littéraire de ce grand roman :
- La vie des hommes n'était qu'une succession de farces. Les hommes vivaient, le coeur tremblant, des comédies pleines de désordre et de confusion. C'est peut-être seulement devant la mort que, soulagé, on poussait enfin pour la première fois un soupir authentique.
- Il imagina sa propre silhouette sous la forme d'un nuage flottant. Un nuage errant au gré du vent qui, un jour, quelque part, insensiblement, disparaîtrait. (Dernières lignes du roman)