Tout ce qu'Alejandra Pizarnik écrit n'est pas beau mais toujours d'une folle sincérité ; c'est une empreinte de pas fraîche dans la neige, ça en a la pureté, l'extrême précision, la froideur aussi - un silence solide, compact, une cage de silence à gratter les yeux grands ouverts, méticuleusement. Sa poésie ne fait pas mal, non, ce n'est pas un cri jeté sourd dans la nuit ; s'il y a quelque chose de la bête traquée là-dedans ce serait plutôt celle qui se tient immobile, aux aguets, curieuse de tout ce qui pourrait advenir, s'examinant, examinant l'espace nu autour d'elle. Figée dans son désir et dans sa peur.
… mais plutôt que de conjecturer, je préfère lui laisser la parole (extrait de son journal, note du 28 décembre 1959, elle y exprime très bien le pourquoi et le comment ):
« Le danger de ma poésie est une tendance à la dissection des mots : je les fixe à l'intérieur du poème presque en les vissant. Chaque mot se pétrifie. Cela est dû, en partie, à ma crainte de tomber dans la plainte tragique. Mais aussi à la crainte que suscitent les mots en moi. Je n'ai pas confiance non plus en ma capacité de créer une architecture poétique. D'où la brièveté de mes poèmes. »
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« Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible étant chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l'absence. C'est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard. »
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« Quelqu'un rentre dans le silence et m'abandonne.
Maintenant la solitude n'est pas seule.
Tu parles comme la nuit.
T'annonces comme la soif. »
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« Quelqu'un mesure en sanglotant
l'étendue de l'aube.
Quelqu'un poignarde l'oreiller
en quête de son impossible
place de repos. »
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« Je voulais que mes doigts de poupée pénètrent dans les touches. Je ne voulais pas effleurer le clavier comme une araignée. Je voulais m'enfoncer, me clouer, me fixer, me pétrifier. Je voulais entrer dans le clavier pour entrer à l'intérieur de la musique pour avoir une patrie. Mais la musique bougeait, se pressait. Quand un refrain reprenait, alors seulement s'animait en moi l'espoir que quelque chose comme une gare s'établirait ; je veux dire : un point de départ ferme et sûr ; un lieu depuis lequel partir, depuis le lieu, vers le lieu, en union et fusion avec le lieu. »
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« CHERCHER – Ce n'est pas un verbe mais un vertige. Ça n'indique pas une action. Ça ne veut pas dire 'je vais à la rencontre de quelqu'un' mais 'je gis parce que quelqu'un ne vient pas'. »
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« Ne plus désirer vivre sans savoir ce qui vit à ma place, ni écrire, puisque pour me blesser la vie prend des formes si étranges. »