«Le temps, comme le cancer, est le dévoreur de nos vies. Quand on a pas d'avenir et que le présent n'existe pas autrement que sous forme de conscience, on a pas d'autre soi que son passé. Et si, comme pour Fife, son passé est un mensonge, une fiction, alors on ne peut pas dire qu'on existe, sauf en tant que personne de fiction.»
Si, paraphrasant Sartre, le regard d’autrui nous dévore de l’intérieur, «l'enfer, c'est les Autres», que dire du regard porté sur soi par celui qui s’est menti à lui-même toute sa vie? Existe-t-il ou n’est-il qu’un personnage de fiction?
Malade, affaibli, Leonard Fife, américain qui, comme des dizaines de milliers d’autres draft-dodgers, lutta contre la guerre du Vietnam en demandant l’asile au Canada, documentariste qui bâtit sa célébrité sur la révélation des mensonges des autres, offre une dernière interview où, à la surprise de ses intervieweurs, cette grande conscience de gauche révèle le mensonge que fut sa vie, qu’il doit le dire aux Autres la vérité pour pouvoir la dire à Emma, l’amour de sa vie, seule vérité dans un océan de mensonges.
«Quand deux personnes qui s'aiment ne sont qu'entre elles deux, elles mentent toutes les deux, d'habitude seulement pour se protéger, mais parfois aussi parce qu'elles ne supportent pas d'être blessées ou de se blesser mutuellement en disant la vérité. Est-ce que vous me comprenez ? Tous?»
Une occasion de se promener dans la mémoire américaine et canadienne des sixties sur fond de guerre au Vietnam, roman sur la mémoire, le regard, l’attention, la vérité, l’amour, le mensonge. Un récit alambiqué, si alambiqué que les intervieweurs, Malcom et Diana, comme le lecteur en perdent le fil. Brillamment construit et écrit mais désarçonnant pour le lecteur.
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