Omertà
5.5
Omertà

livre de Clara Lamarca ()

« La nuit, elle rêve qu’elle est dans la rue. Une rue passante comme toutes les autres, dans une grande ville, bourrée de monde. Le genre de rue qui ferait fuir n’importe qui. Sauf elle. car dans ce genre d’endroit, personne ne la reconnaîtrait. Elle serait libre. Certains diraient que c’est le problème des grandes villes, à savoir que les gens se croisent, mais ne se voient pas. Pas pour Sara. Ce serait sa liberté. Le luxe de ne pas être vue. »


Bienvenue à Anviers, petite ville française au centre médiéval, dont le charme fait le bonheur des séniors en vacances. Anviers et son joli lac, Anviers et sa tour, Anviers et ses chemins de promenade à travers la forêt, Anviers, monstre impitoyable qui ne laisse personne passer entre ses griffes indemne.


« Les touristes voient en Anviers un lieu pittoresque, charmant. Elle, elle y voit l’enfer. »


Sara ne rentre pas dans le rang. Elle n’est jamais rentrée dans le rang. Tête-de-turc de ses camarades depuis son plus jeune âge, sa vie a vraiment tourné au cauchemar après la mort brutale de son père et la déchéance de sa mère qui s’en est suivie. Sa mère qui est à présent devenue « la folle » pour toutes les commères du coin. et comme tout le monde se connait et que tout se sait à Anviers… Maria Verrecchia est devenue « la folle » pour tout le monde.
Sans plus aucun revenu, les voilà qui ont déménagé dans le quartier le plus malfamé de la ville, celui des laissés-pour-compte et des dealeurs. Celui où Sara doit à présent croiser chaque jour le chemin de son plus cruel bourreau du collège. Ryan. Le look et la dégaine d’un minable mais le pouvoir incompréhensible d’un parrain mafieux.


Sam, lui, arrive de Paris et rentrer dans le rang est sa spécialité. À à peine dix-huit ans son cynisme n’a déjà plus de limite. Il regarde son nouvel entourage, la jeunesse d’Anviers, comme il regardait les même spécimens dans la capitale. Sam connait tous les codes pour s’intégrer, se fondre dans la masse, et il les applique à la lettre, car c’est comme cela qu’on survit.
Mais voilà que Sam rencontre Sara, personnage unique et libre à qui l’ont fait payer sa différence chaque jour. Sam est fasciné et attiré et il va très vite devoir faire un choix entre le confort de la conformité et l’ennui d’un chemin bien tracé ou bien la liberté, l’amour, et la violence des autres et du système.


À première vue, cette histoire semble être classable comme une romance contemporaine, et c’est probablement le cas, mais pas que. Sara est passionnée par les livres de fantasy (elle ressemble elle-même à un personnage de fantasy, d'après Sam) et on se rend compte que Omertà abrite également une dimension fantastique sous-jacente. Ici, la ville-monstre d’Anviers est un personnage à part entière, voir même l’antagoniste principal.
Au premier abord la ville semble jolie, charmante, mais l’on se rend compte assez vite qu’il y a quelque chose d’autre sous la surface. Dès son premier trajet en bus, Sam, que tout ennuie et rien n’intéresse si ce n’est la philosophie, est presque happé par la vision du lac Zora embrumé. C’est comme si tout cessait d’exister autour de lui. Il est le marin antique envouté par le chant des sirènes (la beauté de la ville, puis la beauté de Sara, elle même utilisée à son insu dans le piège tendu), se dirigeant volontairement vers les rochers, Sam est un personnage de tragédie, une victime du destin et de puissances monstrueuses, cruelles et intouchables.


Toute la ville fonctionne comme une métaphore du monstre antique. Une sorte de Charybde et Scylla invisible. D’un côté, la ville en elle-même est la bouche béante de Charybde qui avale et recrache ses victimes impuissantes. Personne n’est épargné. On rentre à Anviers, et on n’en ressort plus (à l’exception des touristes, ceux qui ne sont que de passage). De l’autre la ville s’est créée ses différentes têtes de Scylla, utilisant ses victimes envoûtées (les habitants de la ville) comme de nouveaux pions pour attrapés ceux qui tenteraient d’échapper à la ville. Personne ne s’en rend compte tout le monde adhère et participe. Les rares qui ne le font pas sont broyés, détruits, humiliés, rejetés et ostracisés sans pourtant pouvoir mettre de distance entre eux-mêmes et leur bourreaux. On se rend notamment compte de l’aspect « zombifié » ou en transe des habitants lors de l’incendie, quand personne ne réagit et regarde bêtement, bière à la main des flammes qui pourraient bien être meurtrières. Plus personne n’est connecté à la réalité à Anviers, ils sont tous dans un système bien huilé qui ne tolère pas un pas de travers, sauf pour quelques exceptions qui se débattent malheureusement contre deux fronts, l’un trop puissant et impalpable, l’autre composé de trop nombreuses têtes qui ne se laissent pas couper.


Mais après réflexion, ces personnages sont-ils si « déconnectés »? Est-ce que tout cela parait si fantaisiste ? La réponse et non. Ce côté monstrueux parait tristement réel et si cela est bien plus poussé que dans la réalité, la monstrueuse Anviers n’est pas si loin de la vraie vie. Il y a bien là une exagération faite pour pousser le lecteur à réfléchir sur la brutalité de notre société, des autres et de tout ce qui se doit d’être conforme.


Au final Omertà parle avant tout de sujets bien tangibles et actuels. Le harcèlement scolaire, l’effet de groupe, la cruauté, le sexisme et le harcèlement sexuel.
Mais aussi des premières amours, de la famille, des choix et des ambitions, de la jeunesse et du simple rapport au bonheur.
Si l'on devait trouver une moralité toute simple à cette histoire c’est que ce qu’il y a la fois de plus horrible et de plus merveilleux au monde c’est notre rapport aux autres.


Ce qui m’a le plus atteinte, c’est la proximité de l’histoire de Sara avec la mienne. Le harcèlement scolaire est quelque chose que j’ai bien connu (comme beaucoup d’autres) et la lecture d’Omertà à parfois été difficile, presque douloureuse pour moi. Et c’est bien ce qui prouve toute la qualité de l’oeuvre. Ce sujet n’est pas nouveau, mais il est rarement traité aussi justement.


Pour finir, je ne dirai pas que le livre était parfait, j’ai quelques reproches par ci par là, j’aurai aimé voir certains personnages plus développés par exemple (Paul, Serge, …) mais au final, c’est un beau tour de force pour un premier roman qui aborde des choses aussi délicates. Donc dans tous les cas, cela reste une lecture importante que je recommande chaudement.

Nandellaa
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Créée

le 28 juil. 2017

Critique lue 360 fois

4 j'aime

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