Qu'est-ce qui m'a fait acheter ce livre, peu après sa sortie (traitement que je réserve à une poignée d'auteurs/autrices) sachant que je n'avais jamais entendu parler de Barbara Kingsolver, ni de son œuvre ? Pas grand chose finalement, deux/trois passages d'une critique que j'ai survolée (je lis les critiques des autres après mes lectures) et qui m'ont tout de suite donné envie : Amérique "profonde", jeune héros avec une mère junkie, et crise des opioïdes. Dur à définir clairement ce qui m'a motivé là-dedans mais peu importe après tout !
Ce jeune héros, c'est un petit gars avec une force poussée par un désespoir dans lequel il ne tombe jamais. Sans attache mais attachant. Et si la vie ne lui a pas fait énormément de cadeaux, il s'efforce de soulager ses maux d'une façon ou d'une autre. On se dit parfois, "mais non ce n'est pas possible, comment peut-il descendre toujours plus bas?" Surtout que ça n'est jamais de son fait. Car même s'il ne se considère jamais comme une victime, c'est pourtant ce qui le définirait parfaitement. Mais ce qui le définit encore mieux c'est sa résistance, comme ici avec ce passage que j'ai beaucoup aimé:
Mais si j'avais dû partir, où est-ce que je serais allé ? Être enfermé dans une chambre, ou vivre ma vie normale, c'était du pareil au même. Les seules routes que je connaissais étaient pleines de gens qui me marcheraient dessus plutôt que de me venir en aide. Je risquais de finir comme ma mère et mon petit frère, d'un jour à l'autre. J'ai décidé d'être content que ce soit pas le cas. Ici, j'avais le ventre plein et il ne me pleuvait pas dessus. Demain on verrait bien.
Sinon, j'ai été un peu désarçonné au début par la narration, avec quasiment jamais de négation correctement employée ou des phrases qui sautent d'un côté puis virent de l'autre assez rapidement. J'ai ensuite eu cette impression qu'on était sur des effets volontaires pour retranscrire une narration venant d'un petit enfant n'ayant pas reçu l'éducation nécessaire pour toujours bien s'exprimer. Car au fil du livre, ces bizarreries narratives disparaissent quasiment, et cette narration bourrée de talent se transforme et accompagne parfaitement l'évolution du protagoniste.
Demon Copperhead (titre en VO) est un livre rempli de désespoir, sans pour autant paraître sans espoir, au contraire. On sent le tendre amour que ressent l'autrice pour sa région natale, pour la nature des Appalaches, sa verdure et ses cours d'eau. On sent aussi cet attachement pour les gens de la région, les "deplorable", les redneck, les péquenauds (hillbilly) comment on les appelle dans le reste des Etats-Unis. Les gens de cette région sont souvent victimes de préjugés et cibles de moqueries de la part de l'extérieur. On sent très bien ce côté dans le livre, mais Barbara Kingsolver s'attache à montrer qu'il n'y a pas que des gens sans dents et sans espoir (si ce n'est Trump) qui compose la population de cette région.
Il y aurait bien sûr beaucoup de choses à dire en plus sur ce livre si prenant. Ce que je garderai avant tout, plus que cette saleté de crise des opioïdes ayant fait plus de 500 000 victimes aux USA (...), c'est la tendresse avec laquelle Barbara Kingsolver a construit son Demon et a décrit tout ce qui l'entoure. Dur, mais tendre, ça marque forcément.