Dans ce septième livre paru en 2007 aux éditions Verticales, Olivia Rosenthal réussit un tour de force, explorer, en emmenant son lecteur avec elle, la maladie d’Alzheimer, gouffre effrayant au-dessus duquel elle vient se pencher.
Olivia Rosenthal entremêle de manière admirable, à la manière du flux de la pensée, les interrogatoires et l’histoire de Monsieur T., un homme atteint de la maladie d’Alzheimer et frappé de folie, qui a poignardé sa femme en juillet 2004, avec le destin curieux du docteur Alzheimer, qui vît à son insu son nom accolé à cette maladie terrifiante, et avec le questionnement lancinant de l’auteur sur la maladie, et ce à quoi elle renvoie chacun de nous.
«Le docteur Alois Alzheimer est né le 14 juin 1864, à Marktbreit, Bavière. Il a suivi de brillantes études de médecine à Berlin, Würzburg et Tübingen, et a soutenu en 1887 sa thèse de doctorat sur les glandes paroties. Il obtient son premier poste de médecin à l’Institut de soins pour fous et épileptiques de Francfort qu’il quitte en 1903 pour rejoindre la clinique psychiatrique royale de Munich dirigée par Emil Kraepelin. En 1912, il est nommé directeur de la clinique psychiatrique et neurologique de l’université Friedrich-Wilhelm de Breslau. Il meurt à l’apogée de sa carrière, le 15 décembre 1915, d’une insuffisance rénale.
Quelle date sommes-nous ?
Je ne sais pas.
Où êtes-vous ?
À vos côtés.
Dans quelle ville ?
Près du fleuve.
Connaissez-vous le nom de ce fleuve ?
Oui, il coule.»
Pour accomplir cette exploration, elle doit se faire violence, s’accoutumer à regarder la maladie en face, et forcer son lecteur à la suivre dans cette voie difficile, car la maladie d’Alzheimer nous renvoie à nos peurs, face à cette déchéance possible de la mémoire, du langage et par-là même de la condition d’homme.
Le ton est objectif, quasiment clinique, lorsque l’écrivain raconte l’histoire du docteur Alzheimer ou énonce des exercices, reprenant ceux qui sont utilisés par les soignants pour évaluer les performances intellectuelles et de mémoire d’un malade – installant une distance, en même temps qu’il fait toucher du doigt ce que pourrait être une vie marquée par les blancs, les défaillances et les brisures.
«Faites un exercice.
Imaginez-vous dans la situation de celui dont l’histoire a été engloutie.
Imaginez-vous à table, dans l’ignorance de ce que vous mangez, de l’endroit où vous vous trouvez, des objets qui vous entourent, des gens qui vous parlent familièrement et qui vous paraissent des étrangers.»
Mais ce récit par fragments, aux voix et registres changeants, conduit ainsi sans cesse le lecteur vers les mêmes questions obsédantes, comme le malade sans mémoire condamné à un éternel recommencement ; puis il devient peu à peu plus précis et intime avec la convergence poignante, progressivement dévoilée, entre cette recherche sur la maladie et l’histoire familiale de la narratrice.
Sous des airs de pensée flottante et labyrinthique, un livre impressionnant de justesse et d’émotion, sans pathos.
«Toute la journée je suis enfermé avec des gens complètement idiots qui ne comprennent rien à ce que j’essaye de leur dire toute la journée à me démener pour sortir de là toute la journée entouré d’incultes qui me demandent de participer je suis plus à l’école dites le nom d’une fleur je suis plus un enfant et aussi le nom d’un fromage et aussi le nom d’un monument camembert c’est pas le nom d’un monument et d’une couleur camembert c’est pas le nom d’une couleur rouge c’est bien et le nom d’une pâtisserie train ce n’est pas le nom d’une pâtisserie train faites encore un effort vous allez trouver paris-brest oui c’est ça j’aime pas quand ils me félicitent et le nom d’un pays je me souviens pas travailleurs de tous les pays pas tous juste un citez-en un camembert non je les emmerde moi camembert j’ai pas envie de répondre à leurs questions j’ai pas envie d’être encouragé j’aime pas l’école je les emmerde camembert camembert camembert et j’encule la psychologue de service je l‘encule et je l’emmerde et quand je lui dis elle répond juste que je suis pas gentil et elle continue de sourire pauvre folle»
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