De sa première à sa dernière page, One Minute s'impose d'abord, si ce n'est exclusivement, comme un formidable défi littéraire : le récit-chorale de trois cent soixante cinq et quelques fois la même minute cruciale, vécue de trois cent soixante cinq et quelques manières différentes, par trois cent soixante cinq et quelques protagonistes, publié sur watpad quotidiennement sur une période d'un an et soumis à l'approbation, voire à la participation active de ses lecteurs.
Autant de courtes nouvelles à chute (toujours la même, nécessairement) conçues de manière à pouvoir être lues en une minute chacune, et donc en temps réel, pour nourrir une intrigue de science-fiction étonnamment complexe compte tenu des contraintes auquel l'auteur s'est appliqué à ne pas déroger, mêlant aux préoccupations du XXIème siècle quelques mythes du XXème, de façon à surprendre sans cesse et renverser les perspectives jusqu'à l'ultime fragment.
Le tout, rédigé d'une plume aussi belle qu'exigeante, dans un style simple sans être simpliste, lettré sans être pompeux, accessible sans être paresseux, constant en qualité et varié en approches (on pensera nécessairement à l'Anomalie de Le Tellier, ou à la série Flashforward en plus cosmopolite), comme autant de pirouettes parfaitement exécutées par un gymnaste des mots trois fois médaillé d'or.
D'un point de vue formel, l'entreprise est d'une ambition folle, souvent vertigineuse, et d'autant plus bluffante qu'elle fait preuve dans ses mécaniques d'une rigueur remarquable.
Le résultat n'en force que plus l'admiration.
Hélas.
Hélas dans les atouts de l’œuvre résident également ses limites, d'une démesure égale - d'abord, parce qu'une minute, ce n'est pas assez : pas assez pour entrer dans les personnages, pas assez pour entrer dans l'ambiance, pas assez pour rentrer dans l'oeuvre. Toujours, on reste à la surface, l'océan est immense mais on ne s'immerge que du bout des ongles et à peine a-t-on pris la température que déjà, il faut passer au segment suivant, de sorte qu'il n'y a jamais ni tension, ni enjeux qui tiennent le lecteur en haleine et l'impliquent émotionnellement. L'intellect est comblé, le cœur reste en berne, il manque la moitié du roman, celle où on cesse de réfléchir et où on se laisse emporter. De sorte que passé l'éblouissement initial, la lecture devient trop rapidement éprouvante : les segments sont beaucoup trop nombreux, parfois trop redondants ou trop anecdotiques, délayant une intrigue à tiroirs qui, au contraire, aurait gagné à être resserrée et élaguée. Il s'y trouve trop de pistes, trop d'éléments, trop de thèmes associés pour qu'on y croit vraiment ou que l'ensemble tienne complètement debout une fois posé le point final, de sorte que si la trame (c'est de circonstance) paraît parfois très bien pensée, intelligente, quasiment prophétique, elle paraît également parfois terriblement candide, à la façon des pulps d'antan, quand elle ne convoque pas quelques fantasmes sectaires un peu embarrassants (en tête de file : les enfants indigo).
Si bien qu'une fois terminé, on ne sait pas trop qu'en penser, en bien autant qu'en mal ; et si on apprécie jusqu'à son terme le numéro d'équilibriste, si on voudrai toujours l'applaudir à deux moins, on l'aurait paradoxalement aimé plus humain, et moins mécanique.
Ce qui, de façon non moins paradoxale, rejoint totalement son propos.