Il n'était pas besoin d'attendre Oona et Salinger pour comprendre que Frédéric Beigbeder est un être multiple, pétri de contradictions -qui ne l'est pas ?-, comme un Oscar Wilde moderne, provocateur né qui dissimule une bonne dose de pudeur et de timidité derrière un cynisme de façade. Enfin, bref, une fois de plus Beigbeder parle de lui dans ce roman mais ce n'est qu'une part négligeable d'Oona et Salinger, autant livre pour midinettes (l'auteur en est une et ne s'en cache pas) qu'évocation profonde d'une époque des clubs chic de New York aux champs de bataille de la seconde guerre mondiale. S'il est un dandy souvent agaçant dans ses prises de parole comme dans ses livres, Beigbeder écrit parfois avec une lucidité effrayante et n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat sur des sujets franchement tabous en France (le débarquement et la libération de la France par les troupes américaines). Le portrait croisé d'Oona O'Neill et de Salinger est touchant : l'alchimie complexe entre deux êtres que beaucoup de choses rapprochent et que beaucoup d'autres éloignent. Il est fascinant de voir à quel point l'écrivain s'immisce dans cette relation chaste et vouée à l'échec, avec une élégance de style et une analyse fine des sentiments de l'un et de l'autre. Il y a certaines pages où un ange passe (Oona en était un avec la cruauté de ceux qui ont beaucoup souffert du manque d'amour, en l'occurrence de son père). Et Capote, Hemingway et Chaplin, seconds rôles remarquables, complètent cette "faction" (mélange de faits réels avec la fiction) d'une grande richesse dont la gravité et la dérision se mélangent constamment. Oona et Salinger ne convaincra pas ceux qui considèrent l'auteur comme un vulgaire poseur. Il séduira les autres, convaincus depuis longtemps non seulement de son talent littéraire mais aussi de la complexité d'un homme qui ne s'intéresse pas qu'à sa petite personne et dont la curiosité au monde, passé ou présent, tranche par sa clairvoyance aigüe dans une vision qui n'est jamais consensuelle ni simpliste.