Le personnage de Frédéric Beigbeder a toujours provoqué chez moi ce sentiment duel, encensé par mes copains-de-lecture. Son personnage, et vraiment je parle de l’homme que l’on voit, celui qu’on imagine puisque hors de portée, de connaissance, son personnage m’a toujours à la fois attirée et refroidie. J’adore son cynisme, sa connaissance, son style, son honnêteté d’écrivain, son entendement. Je déteste cette image de dandy qu’on ne cesse de lui prêter, ce chaos qui se dissimule derrière ses écrits : le tout-dit mêlé au non-dit. A chaque nouvelle ligne, il me perd et me gagne.
Bref, j’adore chez Beigbeder ce romantisme qu’il habille en vingt-et-unième siècle, avec les conditions et les évincements que ce siècle demande. J’adore ce cynisme exacerbé, qui a trouvé en moi une oreille et des yeux attentifs à chaque mot, chaque ligne. De temps en temps je me demande si monsieur Beigbeder n’est pas juste un poète déchu du dix-neuvième qui a survécu jusqu’ici et qui essaie de rétablir une certaine forme de littérature, de langage. Comme avec ces fameux poètes, je me reconnais en ses mots, en ses idées. Je me sens concernée quand il écrit, et j’adore ça – autant que ça m’énerve d’ailleurs, car c’est surtout son image médiatique que je n’aime pas. Mais en général, ce genre d’image dépasse souvent la personne concernée. Alors restons objectifs.
J’avais « Oona & Salinger » depuis un bout de temps dans ma bibliothèque, mais j’en n’avais pas tant envie. Et puis un jour, ce jour fatal où l’on cherche LE livre qui nous fera de nouveau aimer la littérature dans son entier, je l’ai foutu dans mon sac lors d’un périple à Tours qui m’a coûté bien plus de temps que je ne le pensais : grand bien me fasse, je l’ai lu en une journée, j’ai eu ce cadeau littéraire, cette révélation, ce livre qui m’intéresse tant qu’il me pousse à mener des recherches.
Beigbeder parle de tout dans ce livre, il parle de tout, comme s’il avait tout compris, tout dénudé, tout connu. Et il ne s’agit pas d’un défaut : dans ce livre rien ne m’a dérangée, ni ses intrusions fortuites ni ses petits racontages de vie. Le sujet principal du livre reste la romance méconnue entre Oona O’Neill, femme dont je ne connaissais rien, et J.D Salinger, connu pour L’Attrape-Cœurs, romance qui en vérité dure à peine, car la deuxième guerre mondiale vient tout exploser. C’est ce côté que j’ai beaucoup aimé, faire le compte-rendu, et ce mot paraît bien faible, presque impoli face à l’œuvre de Beigbeder mais je n’en trouve pas d’autre : faire le compte-rendu donc, d’une histoire d’amour avortée, qui aurait pu être belle sans la bêtise humaine et les atrocités qu’elle ramène. Nos deux personnages se séparent : Oona mène sa jeunesse dorée comme il se doit dans les boîtes de New-York, pendant que Salinger va défendre notre patrie dans un combat qui le marquera à jamais, qui le tue intérieurement. Puis Oona se marie à Monsieur Chaplin, encensant les polémiques de l’époque sur le penchant de l’acteur pour les jeunes femmes. Le couple désaxé qu’ils forment possède cette harmonie, cette sérénité que l’on se doit d’envier, de reconnaître. Pendant ce temps, la frustration de Jerry fulmine et ronchonne. « I am Jack’s broken heart ». Pendant ce temps, monsieur Salinger voit et endure des horreurs sans nom durant son combat pour la libération de la France.
A vrai dire, je ne sais pas quel est le véritable sujet du livre. Mais il a ce quelque chose, ce truc qui m’a vraiment fait réviser mon opinion sur Beigbeder. L’amour, il connaît, ainsi que la déception, le mal-être. Quand, entre deux lignes, il se confie sur sa timidité et son inquiétude permanentes, c’est l’humanité qui gagne et on en est, du moins j’en suis, à me reconnaître en lui, en ses sentiments et émotions. Le véritable sujet du livre serait bien le fait que la Terre tourne, tout comme le monde et les sentiments des Hommes qui le composent : rien ne reste jamais à la même place. Le travail de recherche que l’auteur a fourni m’a vraiment enchantée, et pour quelqu’un comme moi, qui ne suis jamais vraiment insensible aux femmes, le personnage d’Oona m’a envoûtée. Ainsi que son père, dont je n’avais aucune connaissance. Ce livre m’a ouvert de nombreuses portes, sur Eugène O’Neill, sur Salinger, sur Charlie Chaplin, sur Oona : et c’est ce que j’ai adoré, ça ne prend jamais vraiment fin, la recherche, individuelle cette fois-ci, continue et prend forme selon ce que Beigbeder nous a transmis. Pour ma part ce qu’il m’a inoculé, c’est cet intérêt que je n’avais pas pour ces personnages que ma génération se contente de connaître de nom sans jamais distinguer de fond ou de forme, et il m’a presque contaminée son obsession pour Oona.
Non vraiment j’ai beaucoup aimé. C’est maintenant le livre de Beigbeder que je conseille le plus, sa passion se ressent dans chacune des lignes, et la bibliographie en postface atteste d’un véritable travail de recherche, ce genre de recherche que j’adore, que l’on pousse tant on est passionné. Il y gagne alors mon admiration : la recherche, je sais ce que c’est, je connais ses qualités et ses failles bien trop destructrices et je respecte son travail tant il a été minutieux, patient.
Beigbeder nous parle de l’amour, comme dans la majeure partie de ses écrits, de la possession, de la perdition, comme, encore une fois, dans la majeure partie de ses livres : seulement ici, il s’agit d’une histoire vraie, de vraies larmes et de vrais désespoirs. Il a eu cette phrase dans sa préface que j’ai beaucoup aimée : « Mais je tiens à proclamer solennellement ceci : si cette histoire n’était pas vraie, je serais extrêmement déçu. », préface qui retravaille le pacte littéraire en y ajoutant cette notion, celle de « faction », où Beigbeder serait « une sorte de soldat effectuant un tour de garde, ou le chef d’une dangereuse sédition. »
J’ai beaucoup aimé. Pour ce qu’elle apporte d’intérêt, pour déterrer des personnes que l’on croit connaître et en fait pas du tout, pour ces vérités qui surgissent au détour d’un chapitre. Alors merci, monsieur Beigbeder pour dépeindre des sentiments aussi beaux dans un monde autodestructeur, merci pour ce travail et cette passion dans chacun des mots, des lignes et des chapitres, merci de nous remettre à notre place de misérables hommes au milieu de nulle part.
Pour finir, j’ai voulu encenser ce roman auprès d’un de mes copains, « Oui mais tu sais Beigbeder me fascine autant qu’il me débecte, alors pourquoi pas mais bon.. » et c’est lors des dernières pages que j’ai trouvé mon argument ultime, sorti de la plume de l’auteur lui-même : « Il me faut rétablir une vérité me concernant : je ne suis pas un dandy raffiné mais un gros plouc qui aime les caquelons remplis d’un liquide jaune, visqueux, brûlant et puant. Du gruyère, de l’emmental et du vacherin fondus et mélangés avec de l’ail et du vin blanc sec, voilà pour moi le sommet de la gastronomie. »
Et c’est dès lors qu’il a définitivement touché mon palpitant. Beigbeder redevient un homme comme vous et moi, un homme bercé par la littérature, qui l’exalte à chacun de ses écrits. Un homme qui aime les femmes, passionnément, passion que l’on retrouve de même dans ses livres ; un homme qui aime le fromage, et ça n’a pas de prix.
Pour finir, il a raison, elle est très émouvante cette vidéo : Chaplin se fait remettre le césar d'honneur, il nous a légèrement défié de ne pas verser sa petite larmounette. Merci.