Cela s'apparentait à une sorte de défi : si ma chère cousine (que j'embrasse au passage) a pu s'approprier et être totalement séduite par l'un de mes romans favoris - à savoir "la horde du contrevent" - , étais-je de mon côté capable, sinon du même résultat, au moins du même élan ?
Le challenge, sans être insurmontable, requérait néanmoins de vaincre quelques obstacles délicats. Je ne doutais nullement de la qualité du roman (s'il s'était agi d'un twilight ou autre bouse quelconque, je n'aurais même pas envisager la question). Non, mon embarras, dans cette affaire, provenait plutôt du fait que ledit chef d’œuvre touchait essentiellement un lectorat féminin. D'ailleurs, sur mes 21 éclaireurs qui l'on lu, 16 sont des femmes (si j'ai bien compté). Tout est dit et tout est là : pour le lire avec objectivité, je me devais de remballer mon orgueil et mes préjugés typiquement masculins, de corriger mon étroitesse d'esprit. Je ne pouvais mieux tomber, d'orgueil et de préjugés il est beaucoup question dans cette œuvre...
Autant concéder d'emblée que Jane Austen m'a fortement impressionné (voilà, le plus dur est fait). Il semble que le premier jet d'orgueil et préjugés, qu'elle lit avec grand succès comme à son habitude lors des veillées familiales, date de 1797 (même s'il ne sortira qu'en 1813). Cela force le respect : écrivain de talent à moins de 25 ans ; et qui plus est, une femme. Fort peu banal pour l'époque.
Lire Austen est un vrai plaisir pour qui aime la belle littérature. Sa plume est d'une grande précision, d'une justesse admirable pour évoquer les sentiments et les émotions de ses personnages hauts en couleur. Elle reste simple et fluide pour autant, élégante, rendant la lecture agréable en tout point. Son intrigue est touchante - même si je me doute qu'elle suscite beaucoup plus d'enthousiasme et d'excitation chez les femmes - , et je me suis surpris à attendre avec impatience un dénouement pourtant prévisible. Austen manie également avec aisance l'ironie, ce qui n'a pas manqué de finir de me séduire.
Lire "orgueil et préjugés" est un excellent moyen de se renseigner sur les mœurs de l'aristocratie anglaise du XIXe siècle. Je reste fasciné par le fardeau imposé par les politesses en tout genre, les règles assommantes régissant les comportements, le déroulement des "soirées" dans ce milieu, la façon de colporter les rumeurs, les préjugés bien sûr. L'intrigue proposée par Austen est également d'une belle maturité pour son jeune âge ; elle sait soulever avec intelligence des questions essentielles sur la condition des femmes, sur les différences de classe, par exemple. Elle évite le piège des positions trop tranchées, en jouant avec subtilité avec ses personnages bien pensés.
Que dire des personnages du roman ? Si je comprends aisément que beaucoup de lectrices gardent une affection toute particulière pour la lumineuse Lizzy et le ténébreux Darcy, j'ai de mon côté été bien davantage fasciné par sa mère toujours à côté de la plaque, par son père à l'humour pince-sans-rire, et par son écervelée de petite sœur, tant leurs sorties sont extraordinaires parfois et ajoutent un piquant bienvenu à l'histoire. C'est sans doute mon côté masculin, et c'est tant mieux : il démontre, si besoin il était, que ce grand roman peut convenir à tout type de public.
Messieurs, étouffez votre vanité, et acceptez quelques heures de naviguer dans des eaux un peu troubles et confuses ; si "orgueil et préjugés" ne finira sans doute pas dans vos romans favoris, il mérite incontestablement d'être lu.