La carrière d'Anouilh aura été jalonnée de grandes pièces de pastiche implicite qui se lisent bien comme des commentaires sur la manière dont la bourgeoisie qui lui est contemporaine rhabille le mythe.
Tour à tour lecteur scripteur attentif de Shakespeare, de Marivaux ou des Grecs, Anouilh livre avec Ornifle une interprétation sur la cruauté et le cynisme chez Molière qui étonne même parmi les grinçantes pour la façon dont sa noirceur dégoûte.
Si le libertinage du personnage, dans sa subversion des valeurs basée sur des traits d'esprit subtils, n'étonne fondamentalement pas tellement dans la pièce, il se distingue de ses inspirateurs par une capacité à polluer plus que l'innocence de ses victimes, leur manière de donner du sens à leurs existences brusquées.
La pièce rend également plus douloureuse la malfaisance du personnage en lui ménageant de bonnes scènes, non pas de repentir mais de faiblesse où il condescend à une forme de douceur qui trahit la réelle monstruosité d'Ornifle, la peur d'être touchée par le monde. Mais on a besoin pour qu'il soit bien effrayant de percevoir ce visage humain qui ne peut pas toujours être caché. Cela rend son action finale bien plus douloureuse dans l'acte final, et la conclusion – la plus ouvertement inspirée de Dom Juan – se montre nettement plus à double tranchant que chez son modèle. Si on est rassuré de le savoir hors d'état de nuire, le réalisme de la pièce n'en donne pas moins avec pas mal de cruauté le sentiment qu'on a affaire à une mauvaise astuce de drame, et que dans la vie les Ornifle du monde et de ceux d'à côté étendent leurs projets.
Même pour un auteur qui a l'habitude de faire de son théâtre la poubelle à vices des antichambres un peu crado de la bonne société parisienne, il y a quelque chose de profondément salissant dans les grinçantes en général et dans Ornifle en particulier.
La leçon qu'Anouilh a peut-être à nous rappeler, c'est qu'il y a quelque chose de détraqué à aimer Molière jusqu'à un certain point (et d'ailleurs les mauvais médecins de la pièce le montrent bien) ; croira-t-on effectivement que quand on se pâme devant la tirade de l'inconstance, on est bien dans le castigat ?
Ornifle passe certes comme un courant d'air ; pas sûr que le mauvais regard qu'il nous laisse s'effacera si facilement.