U westernu
Dans ce roman, Marc Biancarelli choisit une nouvelle fois son île, la Corse, pour décor. Il met en scène un duo improbable : Ange Colomba, dit L’Infernu, un vieux tueur à gages en bout de course qui...
le 26 déc. 2015
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La couverture de "Orphelins de Dieu", avec ce cavalier squelette sur un fond noir, n'est pas de celles qui passent inaperçues. Je me souviens qu'elle avait attiré mon attention au moment de la sortie du roman il y a quelques années, mais mon intérêt s'était alors arrêté aux premières phrases de la quatrième de couverture. Hormis ma passion pour Napoléon, je n'ai aucune affinité particulière avec la Corse... Une critique d'une lectrice amatrice de westerns m'a fait changer d'avis. Car il se trouve que "Orphelins de Dieu" n'est pas qu'une simple histoire de vengeance se déroulant en Corse : son auteur, Marc Biancarelli, a décidé de réutiliser les codes du western dans un contexte autre que celui de l'Ouest américain, une démarche littéraire qui ne peut que m'intéresser et dont j'étais très curieux de voir le résultat, travaillant moi-même depuis plusieurs mois sur un western sibérien...
Un western corse : est-ce si incongru ? Certainement pas. La Corse du 19ème siècle telle qu'elle nous est décrite par Marc Biancarelli a de nombreux points communs avec le Far West. De vastes étendues où l'on peut chevaucher longtemps sans rencontrer âme qui vive ; une terre sauvage où l'autorité du pouvoir central est plus théorique que réelle et où règnent des bandes armées sans foi ni loi ; des bouges où l'alcool coule à flot, peuplés de bandits et de putains, où l'on se bat et où l'on tue à la moindre contrariété ; des armes à feu omniprésentes et son corollaire : comme à Deadwood ou à Tombstone, dans les montagnes corses la vie humaine ne vaut pas grand-chose... Ou plus précisément, elle vaut le prix qu'on est prêt à payer pour y mettre un terme brutal : par exemple, 3500 francs or pour la tête du Long, du Bigleux et de ses deux frères, les quatre crapules qui ont mutilé le visage et sectionné la langue d'un pauvre berger dont la sœur crie désormais vengeance.
Tel est le point de départ du roman, qui va rapidement introduire le tueur à gages choisi par la jeune femme pour être l'instrument de sa vengeance. L'Infernu, de son vrai nom Ange Colomba, est désormais un vieil homme malade, qui se sait arrivé au bout de la piste. La mission que lui confie la jeune Vénérande sera pour lui l'occasion d'un dernier bain de sang avant la retraite. Que les lecteurs les plus sensibles soient avertis : tout est très noir et extrêmement violent. On a notre lot de gerbes de sang, de membres coupés, de crânes qui explosent, de meurtres, de viols, de brutalités diverses et variées. Les nobles sentiments, l'espoir, le pardon, la rédemption, n'ont pas leur place dans ce roman, hormis peut-être dans ses toutes dernières pages... Même si l'on n'aura évidemment pas de happy end hollywoodien. Quoi qu'il en soit, on est à mille lieues de l'image de carte postale de l'île de Beauté, tout n'y est que laideur morale et physique. La Corse du 19ème siècle selon Marc Biancarelli était un endroit terrifiant, le théâtre des pires atrocités. Il est possible que le trait ait été grossi pour les besoins du récit. Celui-ci est néanmoins basé sur des faits historiques réels : ainsi Théodore Poli, le chef de bande que rejoint le jeune Ange Colomba au début de sa carrière, était un authentique bandit qui, vers 1820, luttait contre les Bleus, c'est-à-dire "l'occupant" français. Mais ce cadre historique ne sera qu'esquissé, on n'aura jamais une vue d'ensemble de la situation politique de l'époque, les événements passés étant narrés par L'Infernu lui-même à partir de ses lointains souvenirs de jeunesse. D'un bout à l'autre du roman, ceux-ci alterneront avec la situation présente : la mission du vieux bandit aux côtés de la jeune femme éprise de vengeance.
Lorsqu'on entame la lecture d'un roman estampillé "Littérature Française Contemporaine", il y a toujours le risque de se retrouver face à un écrivain qui croit que, pour être reconnu comme tel, il lui faut forcément violer l'une ou l'autre des conventions d'écriture. Dans "Orphelins de Dieu", ce sont ces dialogues sans guillemets, un détail un peu gênant, pas rédhibitoire, mais dont on aurait pu se passer. Car Marc Biancarelli n'a nul besoin de ce genre d'artifices : il est un vrai écrivain, très talentueux, la lecture de quelques pages de ce roman suffira à s'en convaincre. Sa dernière publication porte sur le naufrage du Batavia en 1629 ; j'ai dû lire à peu près tout ce qu'il était possible de lire sur ce sujet, pourtant il est probable, après cette belle découverte qu'a été "Orphelins de Dieu", que je me laisse tenter par "Massacre des innocents"...
Créée
le 29 mars 2019
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