"Où suis-je ?" tient finalement en une idée, dont Bruno Latour définit progressivement la silhouette au gré des pages de son rapide essai : si la pandémie de Covid-19 a bien rendu quelque-chose palpable, c'est la continuité du vivant.
De cette prise de conscience (que le philosophe avait muri de longue date, rassurez-vous), Latour fait le soc avec lequel il laboure des siècles de philosophie humaniste, des Lumières et d'économie pour faire émerger le nouveau paradigme qu'il appelle de ses vœux, l'avènement de Gaïa et de l'holobiontocène.
Je néologise ici. L'holobionte, c'est l'être vivant rattaché à l'ensemble des puissances d'agir - qu'elles soient passées lorsqu'elles ont permis sa venue au monde, présentes lorsqu'elles contribuent à son maintien quelques temps à la surface du globe, et futures par tout ce qu'il rend possible par sa vie-même. Exit les êtres vivants bien délimités, séparés, divisés, hiérarchisés. Un petit virus né de l'homme (directement ou indirectement, là n'est pas la question) est venu nous rappeler le continuum indéfini qui lie nos vies à celles des autres. Tous les autres, c'est à dire, finalement Tout.
Autour de cette idée, Latour explore des pistes variées et illustre par un nouveau prisme son concept phare de Gaïa, dont il me faudrait plus que quelques lignes pour vous restituer la profondeur. Cet essai court et digeste se lit avec beaucoup de curiosité quand les thèses de ce révolutionnaire (que j'admire pour ne rien vous cacher) vous touchent. Mieux, je suis parfois ébahi devant les possibles ouverts par cette pensée que je trouve emplie d'espoir. J'en retiens tout de même un certain manque de linéarité et de profondeur dans les thèmes abordés. Ce n'est pas plus mal quand on s'est essayé à d'autres textes du philosophe, notamment "Face à Gaïa", dont la complexité de fond est rendue avec une certaine aridité. Mais cela situe cet essai dans ce qu'il se veut être : un réveil.