Paludes, c'est un roman de Gide mais aussi ou surtout le polymorphique et brumeux ouvrage que le protagoniste tente de rédiger à l'intérieur de l'intrigue, nous plaçant d'emblée dans une situation de méta-roman qui se regarde s'écrire lui-même en miroir, le long d'une bien symbolique semaine découpée en ses sept jours syndicaux comme la Création en affres qu'elle est.
Je reste sur une note neutre parce que je n'ai absolument rien éprouvé devant Paludes, sinon cette admiration froide pour l'astuce du faiseur, qu'on éprouve toujours quand on est du métier et qu'on regarde des ficelles bien tressées.
Mais je le tiens pour un bon livre tout de même. Il capte avec justesse et beaucoup d'avance ce que peut être la misère de la création qui doit constamment se justifier (et sans doute se redéfinir) face à un public qui construit l'œuvre en face de son auteur (de son initiateur premier), et on prend un vrai plaisir d'humour au sens original, au sens dérisoire, à voir notre pauvre narrateur devoir constamment expliquer ce qu'est Paludes – et le faire d'une façon différente à chaque fois, au gré des circonstances et de ce qu'il aura réussi à se ménager comme humeur momentanée face à la difficile mobilisation de son temps comme de son esprit. C'est la même chose ?
Je suis moins sensible à des ressorts plus directement satiriques qui, dans le roman, me paraissent nettement plus fatigués et superficiels dans leur traitement ; je pense particulièrement au portrait fait des littérateurs pédants et inutiles (ils le sont, ce n'est pas une objection morale mais bien de traitement) ou à la critique de la petite mondanité, qui ne me passionne guère.
Le roman est tout de même assez couillu en réussissant à poser tous les enjeux de la théorie de la réception avant son énonciation universitaire claire. Il a cette petite saveur de frustration également que je vois souvent chez les sud-am' quand ils jouent au méta-récit : on a parfois envie que le livre reflété du dedans soit plus développé que le livre résultat du dehors, mais finalement les parcs sont continus.
C'est quoi Paludes ? C'est l'impossibilité en ce moment pour moi d'éprouver de la joie devant l'art, à produire ou à recevoir.