Je survolais curieusement les critiques émises pour ce bouquin quand je suis tombé sur un cinq sur dix qui tranchait avec les autres neuf ou dix qui surpeuplent la page de cet ouvrage. Le titre est excellent : Le Prisonnier Soleil et sa cour. Agréablement surpris, je me dis que je vais sûrement lire l’avis de quelqu’un qui a eu le même ressenti que moi en lisant l’autobiographie (mdr) de Charrière. Et en effet, Skirata (c’est son nom) a tout résumé, sa critique synthétise la totalité des mes émotions vécues à travers la lecture de ce Papillon.
Charrière est très fort, divinement fort. Il maîtrise tous les arts manuels, est le plus fort à la bagarre, émet un tel charisme naturel que les Guajiros, peuple autochtone des montages vénézuelo-colombiennes soi-disant craints par le cosmos entier, le vénèrent aussitôt leurs regards posés sur lui. Le chef de la tribu le laisse même baiser une fille de quatorze ans à sa guise, fille elle-même jalouse de sa grande sœur, pêcheuse de perles chevronnée que Charrière baise aussi sans vergogne. Et quand il part, elles sont déchirées par la tristesse de son départ, comme tout le reste de la tribu. Il faut dire qu’il tatouait des papillons et des tigres sur le torse des chefs indiens d’autres tribus et a même guéri un vieux chamane gangrené.
C’est pareil pour les séjours en prison, tous les bagnards connaissent Papillon et l’estiment, parce qu’il est très fort. Les buffles rétifs n’obéissent qu’à lui, les filles ne veulent coucher qu’avec lui, les rats et scolopendres craignent ses morsures, et lorsqu’il se fait attraper, ce n’est pas sa faute. Ou bien, s’il se fait prendre, c’est parce qu’il est un parangon de vertu et qu’il a refusé de tuer un mec louche suspecté de l’observer construire son radeau en douce pour s’évader. Tuer ce mec l’aurait sauvé, mais Papillon ne tue pas gratuitement, donc il n’a rien fait et s’est fait prendre. Quel martyr, Jésus-Christ en reste pantois.
Pour les évasions, il faut faire comme lui a dit de faire, ceux qui ne respectent pas ça décèdent aussitôt. La chaleur l’assomme, mais Papillon résiste, les autres naufragés boivent l’eau de mer, mais lui, il sait qu’il ne faut pas le faire, qu’ils sont bêtes ces humains ! La femme d’un haut-gradé en pince pour lui et il boit le thé chez elle en se faisant draguer par la rombière et une amie à elle.
Quand il n’intimide pas des gardes Vénézuéliens avides de violence et armés jusqu’aux dents, il couche un boxeur chevronné sans difficulté à l’aide d’un simple coup de tête. Je n’ose imaginer ce que donnerait la progéniture issue d’un accouplement entre la mère de Romain Gary et lui. Le régent absolu de l’Univers.
Moi je, moi je, moi je moi je…tout ceci est fort pénible. Mais, comme pour La Promesse de l’Aube, la forme est assez agréable à lire, les codes du roman d’aventure sont remplis. Le passage avec l’évasion en radeau sur la mer, la chaleur accablante et le calvaire qui s’ensuit est bien décrit. Lorsqu’il traverse la forêt vénézuélienne en tenant un mec en joug, c’est sympa aussi, car le mec en question est tout de suite attachant. La description détaillée de ses séjours au cachot fut la plus marquante pour moi. Rien que d’imaginer une vie où, jours après jours, marcher sans but dans quatre mètres carrés est la seule occupation existante est assez effroyable. Voilà pour le positif.
Le reste, c’est du niveau de fariboles de comptoir. On a tous déjà converser avec un mec qui s’écoute parler, un motard qui raconte ses conneries sans écouter un seul mot de ce que tu peux lui répondre, bah Papillon, c’est mutatis mutandis tout ça, un gars qui palabre ses moi je en exagérant la vérité pendant trop longtemps. Le succès commercial de ce bouquin prouve que les gens aiment vénérer des tocards narcissiquement prolixes.