le platon le moins bête
Probablement le Platon le moins bête que j'ai lu, probablement parce qu'ici on se contente de discuter des "étiquettes" qu'on donne aux choses en elles mêmes, plutôt "qu'étiqueter" les choses de...
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le 13 mai 2024
Il ne fait aucun doute que le Parménide est l'un des plus complexes ouvrages de Platon pour le non-initié. Pourtant, de la même manière, et étonnamment, il est un de ceux qui ont suscité le plus de glose parmi les spécialistes (non seulement les commentateurs, mais même les autres philosophes). Ainsi, Hegel, Heidegger ou Kierkegaard parmi les modernes ont longtemps discuté de cet ouvrage (snobisme ?).
C'est qu'il est d'une composition étonnante et à première vue obscure. Écrit sous la forme d'un dialogue rapporté, comme souvent chez Platon, il narre la rencontre entre le célèbre Parménide (auteur d'un Poème extrêmement célèbre pour être la première oeuvre de métaphysique au monde, et que l'on pourrait définir très rapidement comme étant une théorie de l'unité, lui permettant d'établir [pour la première fois dans l'histoire de l'humanité] que l'être est) et le très jeune Socrate, qui n'a alors qu'une vingtaine d'années.
La discussion va toute entière tourner autour de cette métaphysique parménidéenne et de ses reprises. Le premier dialogue du Parménide va faire se rencontrer Zénon, autre auteur célèbre, connu de nos jours pour ses Paradoxes et le jeune Socrate. Zénon a récemment écrit un ouvrage, discutant de la multiplicité et de l'absurdité de son existence. Très vite, Socrate va faire remarquer à Zénon qu'il ne fait que reprendre la théorie de Parménide en l'inversant et en y ajoutant un raisonnement par l'absurde, ce qui est loin d'être suffisant pour défendre la théorie de Parménide (but avoué de Zénon). Selon lui, il serait bien plus intéressant de discuter de la multiplicité et de l'unité à propos de l'intelligible et des formes (c'est-à-dire de ce qui existe au-delà de notre monde sensible). Il est à noter par ailleurs que si on entend communément parler du "monde des idées" chez Platon, l'expression n'est jamais employée chez Platon, il parle toujours de formes, et jamais d'un monde.
Cette critique des arguments de Zénon ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd et Parménide, entendant la qualité des critiques de Socrate, sent le potentiel de ce dernier et lui propose de l'éduquer à la dialectique pour lui permettre d'arriver à discuter un jour de la multiplicité et de l'unité des formes et donc de former une réelle théorie des formes, étant donné que même lui, désormais âgé, n'y arrivera pas.
La dialectique n'est d'ailleurs jamais réellement définie dans l'oeuvre de Platon que comme un dialogue et comme "la plus belle chose du monde". Parménide lui explique ici qu'elle permet d'arriver à la vérité. On pourrait définir en creux la dialectique comme un exercice très avancé de réfutation, permettant par un système de questions et réponses de réfuter l'intégralité du réfutable jusqu'à ce qu'il ne reste que le vrai, objectif absolu de Platon.
Parménide va donc, dans la seconde partie du dialogue, effectuer cet exercice dialectique, prenant appui sur sa théorie de l'Un et en essayant à partir d'assertions basiques recouvrant l'intégralité des possibilités (Si l'Un est, que se passe-t-il ? ; Si l'Un est un, que se passe-t-il ? ; Si l'Un est et n'est pas à la fois, que se passe-t-il ? ; Si l'Un n'est pas, que se passe-t-il ?) d'atteindre la vérité. C'est cette partie-là qui a fait le plus gloser en ce qu'elle ouvre un millier de portes différentes (certains y ont vu le début de la transcendance, que l'on retrouvera chez Plotin puis chez les penseurs chrétiens ; d'autres y ont vu l'émergence de leur propre théorie, cf. Hegel et l'esprit absolu ; d'autres enfin y ont vu un pas important dans l'émergence d'une métaphysique, cf. Heidegger). Nous ne rentrerons pas ici dans le détail, qui n'intéresserait sans doute pas le non-spécialiste et qui rendrait cette critique encore plus indigeste qu'elle ne l'est déjà.
Cet exercice dialectique finira certes par ne mener nulle part : tout ayant été réfuté, il ne reste rien. Ce rien est pourtant énorme car il est, comme le dit le jeune Aristote (un homonyme, rien à voir avec le célèbre élève de Platon), "vérité absolue". La vérité est trouvée, l'exemple est donné. Socrate (en tout cas, le Socrate des écrits de Platon) passera sa vie entière (c'est-à-dire l'oeuvre entière de Platon) à user de cet exercice pour dénicher la vérité partout, n'arrivant souvent à rien. C'est là la beauté de l'oeuvre du plus grand philosophe de l'Histoire : il aura passé sa vie à tenter de circonscrire les infinis contours de la vérité.
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le 12 janv. 2012
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