¡ QUEREMOS VIVIR !
Je n'ai pas l'intention de répéter ce qui a pu être écrit et ré-écrit sur ce roman depuis qu'il a eu le prix Goncourt. Je tiens juste à préciser qu'une connaissance de l'espagnol permet de mieux...
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le 20 nov. 2014
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Pierre Lemaitre en 2013, Lydie Salvayre en 2014. La 1ère Guerre Mondiale consacrée par un Goncourt en 2013, la Guerre Civile espagnole en 2014. Vivement le Goncourt couronnant un récit sur la Guerre du Golfe ou de la Guerre en Irak, serait-on tenté de se dire. Comme si ce prix venait asseoir un peu plus cette mouvance qui permettrait de mettre en lumière, d’éclairer différemment des épisodes de notre Histoire par le prisme de la plume.
L’ouvrage évoque le destin de la mère de l’auteur. Comme pour ne pas oublier ce qu’elle est condamnée à oublier, dans l’obligation de narrer face au diagnostic implacable des médecins, Montse Salvayre se penche sur sa vie et se livre. A ceci près que ce récit ne s’étend que sur un été, l’été 1937. Une seule saison dont les répercussions seront individuelles (pour Montse et par ricochet sa fille), familiales, régionales, nationales et continentales.
Pour ceux qui n’ont pas fait LV2 Espagnol, la Guerre Civile Espagnole reste un événement coincé entre l’avènement du Front Populaire, les multiples provocations allemandes, la "résurrection" italienne…De mes souvenirs de lycéen Espagnol LV2, il ne me reste que les fameux "No Pasaran", les termes "brigades", "phalanges"… bref un vernis bien fin et superficiel autour d’une guerre qui déboucha sur presque quarante ans de dictature.
Ce zoom précis sur cette période installe d’emblée une "complicité" entre l’auteur et le lecteur : on peine à comprendre, dans un premier temps, le pourquoi de cette année et de cette saison. Libre inspiration de l’auteur ? Livre résumant les passages les plus "lyriques" d’une vie ? Passés ces (mauvais) préjugés, vient le moment de saisir l’opportunité unique, celle d’entrer en immersion dans l’Espagne pré-Franquiste.
"Pas Pleurer" est un témoignage poignant. Celui d’une immigrée espagnole, fille d’un exploitant agricole, qui l’espace d’un été va s’extirper de sa condition en côtoyant principes politiques nouveaux, vent libertaire et contestataire, le tout enrobé par les tourments liés à son statut d’adolescente.
Ce village espagnol, sorte de "boule à neige" avec sa séparation entre classes sociales (d’un côté les propriétaires de l’autre le peuple agricole), ses racontars, l’omnipotence de l’Eglise, voit son quotidien troublé par l’intrusion d’idées nouvelles et une succession d’événements qui feront date dans l’histoire espagnole. Entre les velléités libertaires des uns, la nécessaire collectivisation des terres pour les autres, le caractère indispensable d’un retour de l’Espagne forte (et forcément catholique)…ce village (parmi tant d’autres en Espagne) sera secoué, partagé, déchiré entre utopie, euphorie et adhésion derrière un leader charismatique plus qu’à un discours politique.
Car le principal intérêt de l’ouvrage tient dans la mise en parallèle entre le récit de la mère de l’auteur et la chronologie des événements à l’échelle de l’Espagne et de l’Europe. En invoquant Bernanos, Claudel et consorts, "Pas Pleurer" permet de mettre en perspective un contexte bien particulier : celui où se mêle incertitude, ignorance (créant confusion entre capitalisme et communisme), méconnaissance, délation et peur de l’autre. Une mélodie donc qui entête ce village, ce pays qui pense que tout doit changer.
Cette chasse à l’athéisme, ce désir de redorer le blason espagnol ne se fera pas que sur le terrain des idées. L’ouvrage est l’occasion d’évoquer le cheminement de pensée des acteurs, mélange d’aigreur, de sauvagerie et de volonté de terroriser. Face à l’étrange neutralité de ses voisins, à la montée des périls, les acteurs de cette Guerre Civile feront de l’Eglise un acolyte décisif dans les expéditions punitives. Car en faisant fi dans un premier temps, puis en tolérant voire en encourageant cette "croisade", l’Eglise signera un vrai chèque en blanc dans l’entreprise d’épuration espagnole. Outre les nombreux exemples invoqués et extraits de l’œuvre de Bernanos, "Pas Pleurer" décrit la permissivité cléricale et son (in)action dans le conflit espagnol (puis durant la Seconde Guerre Mondiale).
Aussi, on rit volontiers des néologismes d’une mère-enfant qui découvrira successivement des idéologies nouvelles, la guerre, la "Retirada" et la 2de Guerre Mondiale. Tout comme on se pince face à cette Espagne figée dans des principes quasi-féodaux. Et puis vient ce cataclysme mélangeant espérance et autres sentiments exacerbés. En filigrane se posait alors la question de la place de l’Eglise en Espagne, des interrogations naissaient face au mutisme français, reléguant (volontairement ?) la question d’un nouveau conflit européen et mondial (pourtant inéluctable) au second plan.
"Pas Pleurer" permet de "dépoussiérer" un événement historique méconnu en posant ses enjeux à l’échelle locale. Pour mieux comprendre la construction de ce pays si attaché à ses particularismes, l’auteur et la protagoniste portent leur attention sur une période précise (et pourtant charnière) et un endroit précis. Sans pour autant nier le déroulé des événements à l’échelle de l’Espagne et de l’Europe, "Pas Pleurer" personnifie cet épisode-clé de l’histoire espagnol comme pour mieux en ressortir l’essentiel : un pays patriarcal, (dé)voué à l’Eglise, latin dans son raisonnement comme dans sa réaction et tiraillé entre cette soif d’unité pour assurer sa puissance et les différentes identités qui la composent. Et de comprendre, en terminant l'ouvrage, pourquoi cet été 1937 aura tant marqué Montse Salvayre.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Ready to read, car "à force de lire on finit par comprendre qu'à force de lire on finit par comprendre" (Jacques BEAUDRY) et Il suffit qu'un livre ait reçu un prix, que tout le monde en parle, pour qu'il soit acheté & lu. (Murakami)
Créée
le 10 avr. 2015
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