Choisir le train pour s'isoler dans ses pensées et étudier ses relations amoureuses est le projet de Clotilde ce week-end-là, imaginée par Chloé Delaume dans son roman Pauvre folle. Son objectif est d'arrêter de tourner en rond en décortiquant, tel un chirurgien, tous les souvenirs pour reconstituer le puzzle de sa vie.
Et puis dès la page dix-huit, le mot “truie” qui single au moment du premier choc esthétique littéraire de la jeune Clotilde. Et, son choc littéraire, le lecteur l'éprouve physiquement avec la langue qui nomme, happe, frappe et émerveille de précision et de poésie à la fois.
Clotilde, le double
Clotilde est orpheline depuis l'âge de ses 10 ans et 3 mois. Un “uxoricide”, autre mot, qui dit la faute sur la femme qui part, que l'homme tue avant l'apparition du mot féminicide que Clotilde s'approprie. Car, pour Clotilde les mots ont leurs importances, ils lui sont même essentiels !
Ainsi dire sa bipolarité fait partie de cette recherche. Nommer pour se faire comprendre et reconnaître à la fois. Clotilde se définit aussi comme “misandre”, développant une aversion envers toute personne exerçant un pouvoir patriarcal. Et puis, il y a sa Violette et sa 4 ème vague de féminisme va se heurter à un coup de foudre devenu relation nocive au fil des jours.
Chloé Delaume développe le récit du déni de l'emprise. L'amour d'une reine/Clotilde rencontre Guillaume/monstre au cours d'une résidence à la Villa Médicis. Puis, leur relation devient épistolaire. Seulement, en entrant dans le réel, elle s'y cogne, à faire très mal. Alors, plutôt que de souffrir, le déni opère, jusqu'à ne plus pouvoir respirer. Et Clotilde doit compter sur ses amis pour retrouver la maîtrise de sa vie.
Alors, lorsque de nouveau, cette relation par l'échange des mots renaît, Clotilde veut prendre le temps de l'étudier pour savoir si elle s'y replonge ou non. le voyage en train doit apporter la réponse, avec un clin d'oeil vers Goethe et la ville de Heidelberg, pour savoir guérir de ses souffrances.
Cet amour est représenté littérairement par la formule “elleetlui”. Seulement, le déni de la part toxique de cette relation n'est pas feint. Clotilde analyse, à partir de cette relation épistolaire, les liens entre la Reine, le Monstre et “elleetlui”, l'emprise d'une relation amoureuse dangereuse qui isole et contraint dans l'attente et l'insatisfaction.
De l'enfance à l'adulte
Entre la première partie (décrire les fêlures) et la seconde (elleetlui), Chloe Delaume offre une promenade littéraire faite d'inventivités et de plaisir à manier les mots autant que de se confier sur tous les sujets d'actualité, sonorité, féminisme etc. Ses dix-sept portraits d'hommes que Clotilde appelle ses “couillidés” sont savoureux tant ils disent mieux qu'une conférence l'attitude de certains hommes actuellement.
Quittant l'autofiction, en s'inventant un double, Chloé Delaume offre une nouvelle étude des relations avec les hommes au lendemain de ce #MeToo qui ne cesse d'agiter chacun. Seulement, avec humour et dérision, elle rappelle que même au nom du féminisme, il n'est jamais interdit de rêver à l'amour, sauf à garder clairvoyance pour éviter de se laisser emprisonner dans la souffrance, terrain dont l'enfance a déjà fait l'expérience !
La chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2023/09/17/chloe-delaume-pauvre-folle/