L'Amérique Latine va comme un gant à l'écriture nerveuse et poétique à la fois de Caryl Férey. Je n'ai raté aucun de ses ouvrages qui farfouillent dans les égouts des régimes totalitaires, des trafiquants, des guérilleros, des tortionnaires, ou des barbouzes qui roulent les R. Évidemment, la balade est toujours un peu éprouvante, même si l'auteur s'y entend pour goupiller des intrigues qu'on n'a plus envie de lâcher. Parce que ses personnages - y compris féminins - sont attachants et que sa connaissance du terrain fait de ses histoires de véritables documentaires ultra-fouillés. Toutes ces qualités sont présentes à nouveau dans Paz, une plongée cauchemardesque dans ce si beau pays qu'est la Colombie. On est désormais bien loin de Macondo et la mondialisation du vice et de la criminalité a trempé le costard en lin de Santiago Nasar dans une cuve de sang encore frais. J'ai naïvement applaudi des deux mains quand le plan pour la paix a été apparemment couronné de succès et que les anciens des FARC ont enfin posé les armes. Je me disais que 60 ans de guerre civile et des millions de déplacés, ça suffisait, et que les gens en auraient forcément assez de la violence. Des fois, ma bêtise me sidère. Il n'y a guère que moi qui en ai ras le bol de la violence, dirait-on. Bon, d'accord, c'est une drôle de façon de le démontrer que de suivre un auteur qui pioche dans l'histoire universelle de l'infamie pour mettre un peu de piquant dans ses intrigues. Certes, mais le bougre s'y connaît en suspense et innove en matière de métaphore à longueur de page... pas sûre que ça me dédouane. Toujours est-il que son roman magistral entremêle les fils barbelés multiples qui enserrent le malheureux peuple colombien dans un harnais sanglant trop étroit pour lui : paramilitaires, révolutionnaires, politiciens corrompus, proxénètes, narcotrafiquants, ils sont tous réunis (il ne manque que la CIA...) pour une danse macabre qui sème les cadavres comme les vautours larguent leurs fientes en plein vol. Au milieu de ce cirque rance, deux frères, fils du "fiscal" (espèce de ministre de la justice sans majuscules) qui tentent l'un et l'autre de trouver un sens à leur vie. Pas gagné tant on se demande comment la Colombie pourra un jour se relever de si grandes souffrances. Sans vouloir jouer les rabat-joie, je vois mal comment on peut déposer les armes quand tout, absolument tout, concourt à envenimer les rapports de forces entre les parties en présence. L'argent facile de la drogue, les mines clandestines, la débilité des hommes de main qui courent les rues et sont prêts à découper des gens au petit déjeuner en échange d'un statut moins misérable que celui qui les a vus naître. C'est désespérant. Mais le roman est addictif et mériterait d'être lu d'une traite.