Après avoir visionné le film Perceval le Gallois d'Eric Rohmer en début d'année, et l'avoir bien apprécié, j'ai eu envie de lire ce dont quoi le long-métrage était tiré, à savoir Perceval ou Le Conte du Graal. Le roman (courtois) datant de plus de huit siècles en arrière, j'avais un peu d'appréhension avant de commencer à le lire.
Pour le coup, et bien qu'il faille saluer le travail de Daniel Poirion, ayant traduit l'ouvrage de l'ancien français, le livre que j'ai eu entre les mains fut agréable à lire.
Déjà, Chrétien de Troyes a un style. Il s'adresse au lecteur, lui indique ce pour quoi (et pour qui) il écrit, et aussi ce qu'il n'aime pas décrire (les combats sont par exemple bien vite expédié). Le fait que Chrétien parle au lecteur est assez déroutant lorsqu'on commence à lire le livre, j'ai même cru pendant un court instant que j'étais en train de lire un passage ajouté a posteriori (par l'éditeur ou par l'un des nombreux écrivains ayant repris le roman au cours de l'histoire), mais ceci instaure très rapidement un lien avec l'auteur, une certaine franchise de sa part.
Alors l'autre lui raconte ce que vous savez par ce récit ; si l'on recommençait à vous le raconter, on vous fatiguerait et vous ennuierait (car aucun conte ne supporte ce genre de répétition.
On sent qu'à certains moments ça l'emmerde de tartiner sur un sujet précis, du coup, il passe directement à la suite, apportant par moment un certain effet comique d'ailleurs. Enfin, le portrait qu'il dépeint de la société a beau être reluisant, on sent, à certains moments, qu'il est plus nuancé que ça.
Après, il ne faut pas oublier que ça reste un écrit du XIIᵉ siècle. Un point qui frappe concerne le traitement de la femme... encore une fois, Perceval ou le Conte du Graal étant un roman courtois (entrelaçant la chanson de geste et la fin'amor), je suppose que c'est loin d'être le pire dans le domaine. Déjà, l'écrasante majorité d'entre elles ne voient pas leur nom mentionné, j'imagine que c'était la norme dans la littérature d'époque que d'utiliser uniquement des termes tels que "jeune fille" ou "demoiselle" pour nommer les femmes, cela n'empêche que ça apporte une certaine confusion. De surcroit, certaines scènes se révèlent plutôt malaisantes, notamment lorsque Perceval embrasse une femme de force à de multiples reprises avant de la voler... le pire, c'est que lorsque son mari la revoit plus tard, il la désigne comme étant coupable elle aussi, car "elle y aurait pris du plaisir". Pas très #MeToo tout ça.
C'est d'ailleurs plutôt manichéen à ce niveau-là : les femmes sont soient de gentilles créatures à sauver, soient cruelles et fourbes.
Aussi, et sans grande surprise, le scénario et les enjeux sont un peu simplistes. À plusieurs reprises, on a affaire au schéma :
- Objectif apparemment impossible à accomplir pour le héros ;
- Le héros tente quand même en y allant au talent ;
- Il y arrive du premier coup sans grandes difficultés.
C'est un peu ridicule de voir Gauvain, mais surtout Perceval, réussir tout ce qu'ils entreprennent du premier coup. J'ai l'esprit revanchard, j'ose espérer qu'ils se sont bien fait victimiser à l'école à cause de ça.
Il y a même parfois du "teasing" pour des trucs qui sont balayés d'un revers de la main. Par exemple, Perceval promet à une jeune fille qui a été frappé par le sénéchal Keu de la venger ; et à plusieurs reprises, Perceval fait envoyer les hommes qu'il vient de vaincre à la cour du Roi Arthur, notamment afin qu'ils rappellent à la jeune fille qu'il va la venger. Résultat : au détour d'une page, Perceval neutralise Keu sans savoir de qui il s'agit (sans déconner, ça ne dure vraiment que quelques lignes).
Concernant les deux personnages que l'on suit, j'ai bien plus appréciés suivre Perceval que Gauvain. J'avais déjà trouvé ce dernier moins intéressant dans le film de Rohmer, maintenant, je sais d'où vient ce problème. Disons que Gauvain est trop gentillet, il symbolise la chevalerie frivole, le gentillet qui se complaît dans la fausse courtoisie du protocole et de l'amourette. On ne sait pas trop d'où il vient, mais on devine qu'il a reçu l'éducation adéquate. Perceval, lui, a de nombreux défauts : maladroit, naïf, candide. On a même parfois l'impression qu'il s'adresse à certaines personnes comme si c'étaient ses chiens... et puis, j'ai enfin compris certaines blagues de Kaamelott en le suivant : par exemple, il faut attendre la page 86 pour qu'il se rappelle son nom.
Bref, comme je m'y attendais, Perceval ou le Conte du Graal possède de nombreux défauts, ça n'empêche pas que ce fut une bonne surprise tout de même, en plus d'être très prenant. Reste cette fin profondément frustrante qui se termine d'un coup d'un seul, Chrétien n'ayant jamais eu le temps d'achever son roman. M'enfin, rien que pour la manière dont Chrétien a influencé la littérature, ça vaut le coup de s'intéresser à ses écrits.