Je veux vous parler ici d'un classique qui est resté à jamais gravé dans ma mémoire pour les raisons que je vais énumérer plus bas.
Remontons quarante ans en arrière. J'assiste amorphe au cours de Colombo, le prof de lettres, qui nous narre les aventures de Perceval le Gallois, le chevalier au poireau, appelé aussi le chevalier Vert-miel, et de Gauvain, le faux con blanc, écrites par l'«Ecrivain-dont-on-ne-connait-pas-le-nom».
Colombo marche dans les travées, avec son imperméable poussiéreux imprégné par l'odeur de cigare froid, une odeur vraiment très particulière ce jour-là. Je revois les fou-rires des garçons et l'air scandalisé des filles. Et c'est en entendant les ronflantes flatulences de l'enseignant que je comprends enfin l'origine des effluves incongrues. C'était joué. Les circuits olfactifs, ceux qui restent activés le plus longtemps et le plus intensément, étaient imprégnés d'une façon indélébile.
Il se trouve que ce jour-là, par le plus grand des hasards et pour le plus grand bien de la culture française, trois créatifs, dont je vais vous parler, étaient là au même endroit au même moment.
Le premier, développeur à la Silicon Valley, eut l'idée bien des années plus tard de fusionner l'univers des Pokemon avec celui de Street Fighter. Pour gagner un Pokemon-Graal, il fallait remporter un duel sur smartphone basé sur les injures. Le vainqueur, celui dont les injures étaient les plus originales ou les plus brutales, étant désigné en temps réel par le nombre de like des followers. Ce fut un grand succès,ainsi que pour le merchandising associé, occasionnant cependant quelques dérives: les faisceaux laser brulant quelques rétines, les décharges de taser à bout portant provoquant quelques arrêts cardiaques. Rien de bien méchant cependant, et le Graal fut ainsi connu de tous.
Le second, dénommé Jul, écrivit le scénario de Lucky Luke et le Comte du Graal , où le héros gallois, aidé de Lucky Luke, part à la recherche d'une Torah médiévale dérobée par les Daltonian, des Arméniens. Jul put dire avec beaucoup de justesse que Lucky Luke était devenu désormais le socle de l'identité nationale.
Le troisième, un certain Luc Besson, réalisa son célèbre blockbuster La Comtesse du Graal. Lucky Luke, interprété par Sami Naceri, doit retrouver coute que coute la Comtesse Blanchefleur, interprétée par Nikita Bellucci, prisonnière des hordes d'Illuminati. Les tatouages de Blanchefleur renferment en effet un message secret, un flashcode qui va sauver l'humanité. Comme morceau de bravoure, les fights aériens des Pégases contre les Ptérodactyles. Une fois de plus, la culture française allait voler très haut.
Je me rappelle mal de Julien Durand, à part ses chaînes en or. Toujours est-il que le rappeur Comte Dugraal, featuring Cock Gauvin, cassa la baraque avec le tube "Pourquoi", inspiré par les paroles de Tintin 2-3. Leurs voix hyper-métalliques, dues à la nouvelle version d'Auto-Tune, firent bien plus de cent millions de vues sur Youtube. Pour le plus grand bonheur de la culture française.
Mais c'est quelques années plus tard, dans les salles de classe débarrassées des professeurs, que l'enseignement de Lucky Luke, rendu obligatoire, (son nombre de like ayant pulvérisé celui de Perceval) fut le plus profitable pour les enfants. R2-D2, le petit robot, qui parcourait les longues travées des open space, par son tuyau-antenne dressé, déversait ses molécules de synthèse qui facilitaient l'apprentissage, la mémorisation et plus tard favoriseraient la consommation de masse. Et devinez qui en avait eu l'idée le premier?
Parmi toutes les quêtes, celle de la modernité est éternelle. C'est bien la leçon que nous apprend le comte Du Graal. Et en plus, comme dirait Perceval, «c'est pas faux»!