Joli panier garni SF
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le 11 déc. 2021
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Je publie ma critique ici pour le tome 2, mais elle concerne l’ensemble du diptyque Perdido Street Station, dont la traduction a été scindée en deux tomes chez Fleuve Noir pour raisons éditoriales. (Avec les superbes illustrations de Julien Delval en couverture).
Honnêtement je comprend largement ce choix, au vu de la taille des deux ouvrages, mais il en résulte deux livres dont le ton est vraiment très différent, tant il y a une rupture dans le récit à mi-parcours.
Le premier tome pose ses points de vue au ras du sol. On découvre, à travers le personnage d’Isaac dan der Grimnebulin, l’ambiance de la ville de Nouvelle-Crobuzon. Si complexe et foisonnante, que ses descriptions, qui font tout le sel du style new weird, nécessitent des pages et des pages pour transmettre tous les concepts qu’elle porte. Ses corps qui l’habitent, transformés par des machineries bizarres, ses hybrides femmes-insectes, ses angelots mi-bébés mi-chauve-souris qui hurlent des insanités, ses cactus sentients et violents, les os d’une cage thoracique titanesque qui coiffent la skyline d’un quartier entier… Toute l’onomastique évocatrice est géniale et superbement rendue par la VF (le quartier de Chiure ou de Sentinette, la gare de Foutretombe…). L’ensemble crée un paysage mental fait d’un imaginaire sale, tordu, violent et surtout grouillant.
Pour laisser place à la description et l’ambiance, l’intrigue y est minimale, on y suit une succession de scènes d’expositions, souvent un peu banales, mais que j’ai adorées. On a le temps de suivre les personnages vivre, respirer, aller boire des coups au bar avant de sortir faire un tour à la foire avec leurs amis. Après, c’est aussi peut-être un biais personnel, qui fait que je suis beaucoup plus sensible généralement aux scènes plus prosaïques qu’épiques dans la fiction, et sans doute que ça ne parlera pas à tous les lecteurs de la même façon, mais je me suis vraiment laissé porter par cette ambiance de tension latente qui baigne la ville, ses crises qui ne demandent qu’à éclater (sociales, fantastiques…). Jusqu’à leurs effectifs points de rupture dans les derniers chapitres.
Le second tome suit beaucoup plus le schéma d’un roman d’aventure. Les enjeux étant de guérir les effets des crises initiées dans le premier. Il apporte également son lot de nouveaux concepts, factions et protagonistes marquants, et déroule ses péripéties avec de nombreux effets de choc : parfois extrêmement violents, les personnages souffrent, et on sent qu’aucun n’est véritablement à l’abri. Contrairement au premier tome, il n’y a plus vraiment de temps de repos, les scènes s’enchaînent façon cauchemar fiévreux. Je comprends l’intention, mais c’est là aussi qu’à mon sens, le récit possède quelques faiblesses. Les scènes sont inégales, en particulier celles dans la grande serre des cactus, que j’ai trouvées particulièrement laborieuses dans leur rythme. Certains enchaînements de situations semblent aussi un peu poussifs. Je partage globalement l'avis de Michael Moorcock, qui soulignait que, pour des raisons narratives, certains personnages adoptent parfois des comportements qui vont à l'encontre de leurs psychologies préalablement établies.
Maaaaais l’ensemble est quand même vraiment trop cool! Et si l'on est déjà convaincu par le trip, on pardonnera aisément les quelques lourdeurs, au profit d’une impression sensorielle très forte et d’un récit qui se tient bien thématiquement. Globalement, on va faire la rencontre de deux entités assez opposées : une déesse-araignée chaotique portée par les rêves, et une forme de monstre-automate ultralogique mais sans personnalité propre. On devine assez vite que la clé du récit émergera d’une forme de dialectique entre les deux, c’est effectivement ce qui arrive, mais tout le déroulé est palpitant et sans cesse surprenant.
Au final, j’ai trouvé chez Miéville exactement ce que je suis venu y chercher : un banquet infini d’idées géniales et tordues, de l’onirisme, du body-horror, des thèmes sociaux forts (lutte des classes, identité queer également autour de la relation taboue qu’entretiennent les personnages d’Isaac et Lin) et un imaginaire vraiment sans filtre.
Un point sur le style également : celui-ci peut parfois être déconcertant, et disons aussi riche, foisonnant et fouillis que son univers... Il faudra parfois relire une fois ou deux une phrase avant de parvenir à l’intégrer, mais on s’y fait, et il y a parfois de vraies trouvailles lyriques.
Un autre point que je voulais aborder, mais qui concerne la toute-toute fin. Attention, spoiler véritablement spoilant (du genre qui pourrait vraiment décourager la lecture si vous ne l’avez pas lu) :
Dans les toutes dernières pages, on découvre que le personnage de Yagharek, l’homme-oiseau aux ailes coupées, centre du récit, auquel Isaac a promis réparation, a commis un viol dans le passé, et que c’est pour cela que ses ailes ont été sciées et qu’il a été forcé à l’exil par son peuple. Il y a un véritable choc dans cette révélation, autant pour nous lecteurs qui nous sommes largement attachés au personnage, que pour le personnage d’Isaac, qui abandonne l’idée de vouloir soigner son ami. Pour un livre écrit en 2000, cela résonne étonnamment avec notre période post-MeToo, où l’on a tous et toutes appris à nous méfier de nos idoles, où nous avons été nombreux.ses à nous dire « oh merde, Neil Gaiman aussi ! » ... Et le plus surprenant, pour un livre sorti en 2000, c’est qu’au sein de la fiction, cette révélation est bien amenée, bien traitée. La parole est donnée à la victime, femme-oiseau qui a parcouru le monde pour inciter Isaac à respecter la justice de son peuple. On comprend ce que cela représente au sein de sa société, comprise comme une forme d’anarchie fonctionnelle dont l’unique crime est la négation du choix de l’autre. On comprend l’absence de réparation possible, et l’auteur ne cherche pas à excuser le crime commis par son personnage. L’épilogue nous fait suivre ce personnage coupable et nous fait accepter que sa quête de rédemption ne pourra être achevée, ce que le personnage lui-même finit par accepter. Enfin bref, c’est très fin, très bien amené, d’un tragique absolu, et aussi intelligent dans le discours portant sur l’irréfutabilité du fait d’être une victime que sur la place du bourreau et des possibilités d’une justice de réhabilitation.
Bref, c’était vraiment très bien, les rues de Nouvelle-Crobuzon vont continuer encore un moment d’habiter mon esprit. Je vous souhaite d’apprécier vous y perdre également, et c’est vraiment dommage qu’il soit si dur à trouver, faute de rééditions.
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Créée
le 1 févr. 2025
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