Perfidia
7.2
Perfidia

livre de James Ellroy (2014)

Les illusions d'un Fascisme Nippon et la Renaissance d'Ellroy.

Un jour, dans une atmosphère tamisée et irréelle, assis sur un banc d'un parc public un jour d'été, tandis que je lisais avec bonheur un roman de James Ellroy qui me plongeait dans une douce et tendre torpeur, je fus interrompu par un homme qui me hurla des mots qui me hantent encore aujourd'hui : Je hais James Ellroy. Soudain, suant et haletant, je me réveillai dans mon lit, encore traumatisé par cette vision et par le visage furieux du vieillard. Mais, rassuré par les rayons de soleil qui passaient à travers ma fenêtre, et par le vent frais d'une exquise matinée, je compris très vite qu'un événement si terrifiant ne pouvait se produire dans la réalité et ne pouvait être qu'une rêverie imaginée par un cerveau malade. Quiconque détesterait la littérature de James Ellroy ne pourrait être qu'une de ces créatures inventées par des esprits tourmentés et gangrenés par le cauchemar. James Ellroy signe ici un chef-d'oeuvre qui initie le Second Quatuor de Los Angeles, prequel au Premier, qui prend sa place en décembre 1941 pendant la période qui suit l'attaque de Pearl Harbor par l'armée japonaise. Parallèlement à cela, une famille de japonais, les Watanabe, sont assassinés dans une mise en scène provenant de vieux rituels japonais guerriers. Ainsi, dans une Los Angeles rongée par l'effort de guerre, son stupre et ses innombrables corruptions, Perfidia alterne le point de vue de quatre personnages : un enquêteur d'origine japonaise, un haut-gradé de la police pressenti pour devenir le nouveau Chef de la Police, la jeune épouse d'un policier du LAPD et le légendaire Dudley Smith. Entre prédations opportunistes, violations des droits civiques, montages financiers et immobiliers, guerres des gangs, sexe, communisme, espionnage et traditions nippones anciennes : le lecteur est pris dans un tourbillon romanesque exceptionnel.


James Ellroy est fidèle à lui-même et à la peinture pessimiste de Los Angeles qu'il ne finit pas de présenter à ses lecteurs. Rongée par la corruption, elle semble minée par le népotisme et les manœuvres d'hommes peu scrupuleux qui s'entendent pour faire planer sur la ville une ambiance terrible d'impunité pour les puissants et de prédation pour les plus faibles. La Cité des Anges devient une Florence digne du temps des Médicis pleine de machiavélisme et de guerres d'intérêts entre les différentes factions. L'auteur réussit à donner à voir une ville en pleine guerre qui alterne les couvre-feux et les manifestations de haine à l'égard des minorités japonaises après le très traumatisant épisode de l'attaque de Pearl Harbor. Bien sur, James Ellroy nous plonge dans les méandres d'une police pleine d'individus crypto-fascistes, anti-communistes et qui hésitent entre la collaboration avec les forces de l'Axe ou avec les Alliés qu'ils qualifient de serviteurs des Juifs. Cette vision de l'Amérique des années 1940 n'est pas totalement dénuée de tout fondement et est rarement présentée aux lecteurs qui se contentent d'une vision mystifiée d'une Amérique salvatrice et anti-fasciste par nature. C'est à ce titre que les personnages sont très représentatifs par leurs questionnements et leurs tiraillements, notamment à travers Hideo Hashida qui, malgré le racisme dont il est l'objet et ses tentations communautaires, demeure un véritable serviteur des Etats-Unis. Comme à son habitude, l'auteur nous présente des visages tourmentés, mutilés, obsédés par leurs dépendances et leurs passés troubles, avatars de lui-même qui est, on le sait, obsédé par ses traumatismes personnels. Par ailleurs, l'intrigue prend son temps et se développe petit à petit page après page de manière assez complexe et parfois lourde, dans une maestria qui ne surprendra que celui qui lit Ellroy pour la première fois.


D'un point de vue du style, James Ellroy semble avoir un peu mis de l'eau dans son vin tant il a légèrement délaissé son style épileptique pour renouer avec une certaine grâce des phrases complexes et des détours parfois inutiles. Alors même qu'il nous avait habitué à un manuscrit taillé à la serpe et des phrases de type sujet-verbe-complément sans aucune conjonction de coordination, Perdidia surprend par son aisance de lecture et ses divagations aussi régulières qu'agréables. Cela pourra déplaire aux inconditionnels du style stroboscopique classique mais pourra ravir les néophytes, d'autant plus que cela n'est pas illogique du point de vue de la progression dans le temps de l'oeuvre qui se veut justement de plus en plus nerveuse et lapidaire. Cela nous amène à l'ambition démesurée et quasiment mégalomane d'Ellroy qui consiste à construire une véritable fresque historique entre la Seconde Guerre Mondiale et la fin des années soixante-dix et qui pourra devenir l'un des plus grands chef-d’œuvres entrepris par un de nos auteurs contemporains.

PaulStaes
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le 15 juin 2019

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Paul Staes

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