Permafrost
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Permafrost

livre de Eva Baltasar (2018)

Une jeune femme qui se sent radicalement différentes des autres humains évoque ses états d'âmes, ses coups de gueule, ses émotions, ses interrogations. Le permafrost, c'est cette épaisse couche protectrice de glace que chacun porte en soi, dont la narratrice espère et redoute à la fois qu'elle fonde.

Plutôt séduit au début par l'écriture, avec, par exemple, page 14, cette image assez forte du lait :

"Tu comprendras quand tu seras grande", répétait maman sans relâche. Je ne dois pas avoir assez grandi. Et pourtant je m'efforçais de boire les verres de lait, des verres hauts et larges qui semblaient des bouches animales, aussi grosses que ma figure, et qui me dessinaient sur le front un diadème rouge, là où le rebord appuyait. Ils pouvaient contenir tant de lait, ces verres, que maman devait toujours ouvrir une autre bouteille pour les remplir jusqu'en haut, à ras bord. (...) Tant et tant de litres de lait, et moi toute blanche au-dedans, pleine de voiles de lait au-dedans, accrochés à moi comme des draps poisseux et mouillés, collés à mes parois, au revers de ma peau. (...) J'étais moitié petite fille moitié bidon de lait, une sorte de réservoir saturé. Après avoir bu, je n'osais plus bouger, je pouvais sentir le lait danser dans mon estomac. Danser, non, se balancer dangereusement comme l'eau d'un seau soumis à un trajet court et précipité. Puis descendre comme l'eau dans les canalisations des vécés du voisin. Exactement pareil, mais au-dedans.

On voit dès cet extrait la qualité de l'écriture mais aussi sa limite : Eva Baltasar en fait un peu trop, elle veut "faire littéraire". Se tenant sur une ligne de crête, elle bascule parfois comme ici du bon côté. Parfois seulement.

Quant au propos, on dirait celui d'une adolescente, et l'on est surpris de constater l'âge de l'autrice, la quarantaine. Domine le rejet du conformisme petit-bourgeois incarné par sa soeur qui s'est mariée, de toute "normalité" inculquée au forceps par ses parents, de la société en général. Il y a du Maria Pourchet dans cette écriture, mais en moins convaincant.

On suit la vie de cette jeune femme, qui lit énormément, passe par différents jobs dont celui de jeune fille au pair à l'étranger, tente de se suicider dans une baignoire en vain, se lie avec sa nièce à l'hôpital en fin de roman... Elle évoque aussi ses souvenirs d'enfance.

Surtout, la narratrice est lesbienne, elle tient à le faire savoir, en nous contant ses multiples aventures. Le roman ne tarde pas à virer au manifeste : Eva Baltasar est bien décidée à faire sentir au lecteur hétéro (à la lectrice surtout) à quel point il/elle passe à côté de la vraie vie sexuelle. Un pari ambitieux vis-à-vis d'un lecteur comme moi, passionné par la dimension d'altérité que renferme la relation sexuelle : un homme et une femme ça ne marche pas pareil, surtout dans ce domaine-là, les sexologues sont assez unanimes sur ce point. Dès lors, comment s'entendre, se trouver, pour arriver à l'extase ? Plus simple, bien sûr, pour deux femmes ou deux hommes, qui ne se confrontent pas au mystère de la différence intime (même s'il y a altérité malgré tout... mais moindre, en évacuant une dimension essentielle). Mais aussi bien moins riche, comme souvent ce qui est plus simple. Aucune homophobie dans ces propos car bien sûr on ne choisit pas, chacun réagit suivant son inclination et c'est très bien ainsi. De là à ce que je sois convaincu qu'en étant hétéro je passe à côté du top en matière sexuelle, il y a pas mal de boulot...

Bref, ce discours m'a lassé, voire agacé, tout comme m'agacent les manifs de la "gay pride" ("fier" de son orientation sexuelle ? mais en quoi est-ce un motif de fierté ? surtout si l'on revendique qu'il ne s'agit pas d'un choix mais d'une nature...). Résultat : je n'ai guère aimé ce que "dégage" ce roman, dont l'écriture est pourtant incontestablement travaillée, ce à quoi je suis en général sensible. Un avis qui, comme souvent, en dit autant sur le lecteur que sur l'oeuvre à laquelle il s'est confronté ! J'avais choisi ce livre un peu au hasard à la bibliothèque. Qui joue ne gagne pas toujours.

Jduvi
6
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le 21 déc. 2022

Critique lue 21 fois

Jduvi

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