"Ça, c'est mon cahier à secrets, celui qui le trouve gare, parce que celui qui lit mes secrets dedans je l'estourbis. Alors gare": ce premier paragraphe et le titre sont restés pendant longtemps tout ce que je connaissais de ce livre, vus dans un catalogue il y a plus de trente ans; j'ai trouvé le livre par hasard en 2022 et ne regrette pas cette rencontre. Incipit et titre donnent d'emblée le ton de ce roman, qui se présente comme le journal d'une fillette d'une dizaine d'années, qui aime sa maman, la lecture et la nature, mais est du genre indomptable. Toujours en rouge, mais pas du genre Petit Chaperon naïf et proie désignée ! Si quelqu'un lui déplait ou la provoque, gare ! J'te donne un coup de pied, j'te fais un croche-patte le jour de la 1ère communion, je fiche des crottes du chat dans l'eau du vase, pour que ton bouquet que t'as offert à Maman il fane plus vite !


L'histoire, pour laquelle l'autrice a apparemment pioché dans sa propre expérience, se passe à la fin des années 50, dans la campagne nantaise, à une époque quasi-archaïque où les enfants n'avaient ni télé, ni ordinateur, ni console, ni téléphone portable, et où les fillettes ne portaient pas de pantalon ! L'héroïne (dont le prénom restera un mystère) a pour terrain de jeux l'Empire, une propriété abandonnée, où se retrouvent plusieurs bandes d'enfants. Ce n'est pas "La Guerre des boutons", mais les rapports peuvent y être rudes: on se bagarre volontiers, les membres des bandes rivales ou les intrus ("les Sauvages") se retrouvent parfois jetés dans la mare ou un buisson d'orties ! Il y a aussi des rituels, des chants, des feux où l'on fait cuire des patates,... Il y a encore Bygrec, le vagabond qui vit dans une ruine du domaine et qui comprend les enfants, les écoute, les respecte, leur chante des chansons, leur prête des livres. 
C'est vif, souvent drôle, la narratrice malaxe syntaxe et grammaire à sa convenance et ça fonctionne du tonnerre: "Ce matin à l'école elle se fâche pour que je me peigne, mais alors des queues on n'est pas dimanche et de quoi je me mêle". L'autrice restitue, ou du moins invente, une langue enfantine agile et sans complexe et se tient au principe du journal, d'où des ellipses, des personnages qui existent à travers leurs actes ponctuels, sans qu'on sache tout de leur personnalité, de leur passé, etc. Il faut parfois lire entre les lignes, et c'est ainsi qu'est également présente une certaine gravité, qui s'accroît à la fin du livre. La "petite fille rouge" est désormais au petit lycée (les classes de 6ème et de 5ème de l'époque), prend le bus pour aller à Nantes mais ne s'adapte pas à ce monde bien trop cadré. De plus, des drames successifs, dont je ne dirai rien -juré craché !-, vont la faire évoluer vers une sorte de révolte impuissante. L'enfance commence à s'éloigner, ses croyances et ses rêves aussi. Et, ultime pied de nez, le livre s'achève... sans s'achever, s'interrompant soudain au milieu d'une phrase.
En somme, un livre épatant, parfois rêche mais toujours attachant, qu'on n'a pas envie de quitter.
Drustan
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le 24 mars 2022

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Drustan

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9

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