Critique de Petite Soeur par AMqt
Un livre insolite qui explore l'ambiguïté des relations fraternelles. Un récit douloureux, bouleversant, souvent troublant et dérangeant, mais qui ne se dépare jamais d'une fraîcheur et d'une...
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le 22 févr. 2024
Elle était de onze mois l’aînée, et pourtant, parce qu’en comparaison on la voyait nettement moins brillante, voire un peu lente si ce n’est légèrement attardée, elle était pour tous la petite sœur de Mika. Elle doit maintenant en parler au passé, parce que ce frère extraverti jusqu’à la flamboyance, aussi protecteur que cruel, qu’elle aimait et admirait aveuglément, tout au moins dans l’enfance et jusqu’à leur brouille il y a sept ans maintenant, vient de mourir à vingt-huit ans, en lui léguant ses cendres : un geste accablant pour Alice, dont la mémoire encadre précisément sa relation avec son frère de deux souvenirs au goût de cendres, emblématiques du début et de la fin de son emprise sur elle.
Car, si elle est la seule à s’en apercevoir maintenant, c’est bien une relation toxique qui s’est développée dès la petite enfance entre le frère et la sœur. Elle qui n’en a jamais parlé sait qu’il est temps de faire face à cette réalité et que, pour enfin tenter de s’en affranchir, il va lui falloir la mettre en mots. Une petite annonce lui permet de partir habiter quelques semaines chez un inconnu obligé de s’absenter sans son chat, et la voilà bientôt, avec pour seule compagnie Vanessa, une florissante plante carnivore, et Ulysse, un invisible félin, libre de confier à ses carnets une histoire qui, au fil de réminiscences d’abord désordonnées, et grâce aux bienveillants conseils littéraires de sa tante, prend peu à peu la forme d’un roman autobiographique.
Allégée par un discret humour sous-jacent et par la touchante tendresse de personnages secondaires, la narration se met en place sans pathos ni auto-apitoiement, alignant faits et souvenirs pour laisser apparaître en filigrane ce dont Alice prend douloureusement conscience en même temps que le lecteur : tout, depuis le début, était tordu dans cette famille, le garçon développant dès le plus jeune âge les comportements cruellement et sournoisement manipulateurs du pervers narcissique, les parents aveugles entretenant inconsciemment la domination du fils si brillant sur sa sœur si fragile et si terne, la fille intégrant son infériorité et sa dépendance à son frère jusqu’à presque passer pour inadaptée et tomber toujours plus bas sous une emprise totale et destructrice. Le processus est implacable et pernicieux, d’autant plus terrifiant que, sous les apparences d’une fratrie unie et d’une famille aimante, se cache une violence des plus absolues parce qu’elle s’attaque au développement-même d’une personnalité, empêchée dès la plus tendre enfance, poussée vers une auto-destruction téléguidée par une cruauté déguisée en amour.
Avec ses mots d’une sincérité et d’une innocence désarmantes, décrivant de la manière la plus ordinaire et naturelle qui soit des situations horrifiantes, vécues sans la moindre conscience d’en être la victime, Alice nous plonge dans un récit douloureux et bouleversant, souvent troublant et dérangeant, qui, paradoxalement, ne se dépare jamais d’une fraîcheur et d’une légèreté entretenues par une plume fluide, pleine d’entrain et de spontanéité. Intrigué, attaché à cette fille si vaillamment perdue, c’est totalement captivé que l’on dévore ce roman très habilement construit. Coup de coeur.
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Créée
le 29 mai 2023
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