Puisque vous avez cliqué sur cette critique, je vais me permettre de faire deux suppositions sur vous. Primo, vous êtes un vrai joueur, un passionné. Probablement pas un casual gamer ou un simple néophyte curieux. Secundo, vous ne vous contentez pas de jouer, vous analysez le média, partagez vos expériences, vous intéressez à l'évolution du jeu vidéo et revendiquez même peut-être à qui veut l'entendre son statut d'Art. Sur ce dernier point, je vous suis totalement, le jeu vidéo EST le 10ème Art, il n'y a pas à discuter.
Bref, vous intellectualisez à juste titre votre pratique et vous vous lamentez peut-être sur l'insupportable pauvreté éditoriale française au sujet de la pratique des arts numériques. Parce que, à part des dizaines d'historiques qu'on a déjà suffisamment bouffé, y'a pas grand chose à se mettre sous la dent dans la langue de Molière. Mathieu Triclot vient régler ça avec sa « Philosophie des jeux vidéo »
Le titre est trompeur: non, l'auteur ne se contente pas de balancer des truismes philosophiques dans le monde de Mario. Pas de « Telle une version moderne de la Caverne de Platon, le jeu vidéo nous emprisonne dans l'illusion. » ni de « Jouer requiert de penser, et penser c'est être. Je joue donc je suis (copyright Sony Playstation). » Nein: le livre développe une thèse, une vraie: le jeu vidéo est une nouvelle forme culturelle et, en tant que telle, il est temps de s'interroger sur la spécificité de l'expérience qu'il procure. Et autant dire qu'au fil de la lecture, on n'est pas déçu.
Ainsi, Triclot fait de multiples rapprochements avec le jeu traditionnel, le cinéma, la télévision, le monde du travail, la gestion de l'information... pour mieux isoler ensuite le jeu vidéo dans toute sa singularité et mieux faire ressortir la richesse de ses expériences. Entre le vertige, la compétition et la simulation, le trip virtuo-ludique est un mélange inédit de sensations qui innerve la subjectivité de l'homme moderne, de plus en plus enclin à réduire un monde réel saturé d'ambiguités et donc devenu incompréhensible à une pureté symbolique qui lui permet de retrouver un pouvoir « magique », quasi-chamanique, sur son environnement.
A travers ses trois grandes racines historiques que sont la simulation universitaire, le jeu d'arcade et la console de salon, le jeu vidéo devient, à travers la pensée de Triclot, le parangon du nouveau paradigme humain: l'hyper-informatisation qui contient potentiellement les deux polarités entre lesquelles il faudra choisir pour définir le sens de nos vies: la résignation ou la délivrance technologiques.
Débordant largement le cadre d'une pratique minoritaire pour embrasser toute une représentation du monde, le jeu vidéo se pare de ses plus beaux atours dans cette référence francophone que je vous obligerais bien à acheter si j'avais un flingue à vous coller sur la tempe. On va dire que mon excès d'enthousiasme est bien compréhensible: j'ai soudain comme l'impression que je verrai de mon vivant le jour où tripoter une manette sera enfin devenu une activité prise au sérieux. Si tout le monde pouvait se mettre d'accord avant que je chope l'Alzheimer...